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418 LETTRES BADOISES. La vérité est qu'on se trouve fort dépaysé au contact de cette petite noblesse allemande, lourde de formes, d'esprit et d'allures, et gonflée d'un orgueil ridicule. Quand, après avoir passé le Rhin pour la première fois, on tombe à Bade, au milieu de celte exhibition surannée , on se croirait en Chine, au milieu des Mandarins, décorés de clochettes, de boulons et de parasols. Les Junker abondent; ces gentilshommes à lièvre vivent de pommes de terre et de bière brune tout le long de l'année ; ils habitent un manoir en dissolution hanté par les chouettes et confiné par le domaine des loups. Les Junker apparaissent à Bade, vers le mois de juillet avec leur suite : quelquefidèleCaleb, et un ou deux lourds destriers, là ils ont bientôt dissipé leurs minces revenus de l'année. J'ai eu mainte fois l'envie d'aborder un de ces hobereaux et de lui demander l'heure ; mais leur montre doit être arrêtée à la veille de 89. En outre c'eût été une question indiscrète, sou- vent la montre gothique est en gage chez ces amateurs dont Bade foisonne, qui ont un goût particulier pour les bijous des joueurs malheureux. En relisant les œuvres de Bœrne, je suis frappé du contraste qui existe entre ce qu'il écrivait sur son pays et ce qu'il écrivait sur la France. La plupart des abus qu'il signalait en Allemagne, existent encore; chez nous tout est changé depuis. C'est que la vie y est toujours vivante, avec sa mobilité rapide; tandis que l'Allemagne reste immobile. Hans (1) est un peu lourdaud; la place que ses nobles maîtres lui ont faite, est une méchante petite place, sous l'échelle, der- rière le poêle. N'importe, Hans est si patient: il mange sa choucroute, et s'endort ; le charivari infernal que 48 est venu faire à sa porte, l'a éveillé à peine. « Il fait trop froid dehors,» a-t-il soupiré en bâillant, puis il s'est retourné sur sa couche comme un homme qui veut continuer ses songes. Bon Hans, si (1) C'csl le nom populaire, le surnom du peuple allemand.