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LETTRES BADOISES. 357 Je crus me réveiller à trois siècles de distance : l'aube se levait alors, candide et rose comme les divinités d'Homère, ou plutôt comme les vierges florentines des moines peintres du XVe siècle. Au premier signal des cloches, la prière, comme une colombe blanche et pure, s'envolait de chaque cœur, et les pieux artistes, le marteau à la main, enthou- siastes et fidèles, enlamaient dévotement leur chef-d'œuvre de pierre, ce poème de la foi catholique, que nous nommons prosaïquement une cathédrale, ce qui veut dire en grec : un siège. La poésie de Strasbourg est loule dans son Munster. Quel soupir ardent vers le ciel pousse celte flèche immense, qui domine les plaines d'Alsace et du Rhin, comme elle a do- miné le temps ! quel spiritualisme dans toute cette construc- tion élancée et grandiose, et qu'Erwin élait un grand poêle, et un poète essentiellement allemand ! J'entre dans l'église ; la nef est silencieuse, pleine de clairs-obscurs mystérieux. Mais, à midi, lout s'anime : le vieillard va avertir la Mort; la voici, l'impitoyable ! de son sablier elle frappe un tympan d'airain ; les apôtres, un à un, défilent devant le Christ jusqu'à ce que le coq batte dés ailes et chanle de sa voix de sépulcre ; alors lout disparaît, la légende s'évanouit, et après que les curieux se sont dis- persés, il ne reste dans l'église qu'un bedeau ; celui-ci se promène gravement sur les dalles, pâle el laid comme la Mort, il semble, comme elle, ne régner que sur des ruines. Oh ! Erwin ! lorsque tu te couchas sous ces pierres, auxquelles tu avais voué la vie et voulus consacrer ta mort, lu élais loin de soupçonner que la poésie qui t'avait inspiré devait périr long- temps avant le poème. Mais aussi, tandis que tu as dormi à celte place, combien d'événements ne se sont-ils pas succédés? Ton sommeil a dû être troublé par des rêves étranges?.... Par exemple, lorsque un vieillard maigre inscrivit en ricanant