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284 DK LA PHILOSOPHIE DE L'HISTO[RE. l'homme et pour la société une certaine sommité élyséenne de science, de repos, d'ordre et de bonheur. Ce but, supposons un moment qu'il soit possible de l'at- teindre. Quelle différence inexplicable dans le sort des gé- nérations! Voyez-vous les unes vouées a l'ignorance, à la dé- tresse, au désordre, à une lutte douloureuse contre les plus rudes chocs de la vie? Elles sont prédestinées en sacrifice à celles qui doivent suivre. Pour celles-ci, qui n'auront pas combattu, vont être réservées les dépouilles opimes de la civilisation et toute la facile profusion des joies de la vie do- mestique ou sociale. L'histoire deviendra ainsi l'enchaîne- ment bout à bout de deux fatalités , la première décrois- sante en mal, la seconde croissante en bien, dont tour à tour les races humaines, selon la date de leur naissance, seraient victimes ou bénéficiaires. Kant a beau ne pas trou- ver rejétable à priori un partage si inégal de destinées, les intimes répugnances de la raison s'élèvent pour le condam- ner. De l'homme à l'homme, l'inégalité ne choque pas, nous entendons celle qui est voulue de Dieu. Elle tient à des dis- pensations différentes qui n'empêchent pas précisément le lot du bonheur humain de se former, qui ouvrent d'ailleurs tous les temps d'une manière égale à la vertu, et qui, du sein des oppositions, des contrastes, des épreuves, des di- versités de situation de toute espèce, suscitent avec la mâle obligation du travail et du devoir, avec le combat moral que nous avons tous à soutenir, la beauté du spectacle de la vie. Mais quoi de beau, quoi d'admirable dans cette loi mono- tone et d'airain qui dévouerait au malheur les premières gé- nérations pour avantager les dernières ? Quoi de sage, quoi d'équitable dans ce plan qui inféoderait la purification et la vertu aux races de l'extrémité des temps , en livrant au souffle de la corruption morale les races qui auraient eu le tort de naître de trop bonne heure? Voila qu'à l'acerbe