Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                     CHRONIQUE THÉÂTRALE.                         191
public qui ne demande pas mieux que de pouvoir sortir du théâ-
tre en fredonnant les airs qu'il vient d'entendre, il a du moins
l'avantage de répondre à ce besoin de distinction qui caractérise
les esprits difficiles. La distinction ! c'est là, en effet, le cachet
propre à M. Halévy, quel que soit le sujet ou la scène qu'il aborde.
une distinction trempée d'une larme, une distinction un peu élc~
giaque, un rafinement voilé de tendresse. Il est assez rompu dans
toutes les mathématiques de la composition pour être bizarre, s'il
le faut, et il en donne maintes fois la preuve dans Jaguarita.
Mais même au moment où il paraît rechercher des effets de cette
nature, le sentiment mélancolique ne lui fait jamais complète -
ment défaut. La chanson du Colibri en est un exemple. La mélo-
die brisée et violente de cette chanson est empreinte néanmoins
d'une douceur secrète, et quand elle sera devenue familière aux
auditeurs, ce charme ressortira davantage. Le grand duo final
du 2 e acte brille par les mêmes qualités , il berce l'âme très-
agréablement ; la monotonie même qu'on pourrait lui reprocher
ajoute à l'effet qu'il produit. Les couplets très-élégants de la
reine : Je le fais roi, un chœur de voix d'hommes très-éner-
gique et la chanson de mort du sauvage Jumbo remplissent à
peu près le troisième acte.
   Ce nouvel ouvrage ne rajeunira pas la popularité de l'auteur
de la Juive ; mais il est à croire qu'il remplira eependant une
carrière honorable. Le soin minutieux de la mise en scène, la
beauté des décors, la manière brillante dont il est interprêté
contribueront à le maintenir au répertoire.
   M me Brière-Fauré, dans le rôle de la Jaguarita, avait à remuer
des boisseaux de croches et de doubles-croches. Elle s'en est tirée
avec son intrépidité et sa prestesse habituelles ; elle exécute tous
les points d'orgue audacieux dont son rôle est semé avec une
justesse et une précision rares. Il ne lui manque qu'un peu
de facilité; les efforts que ses vocalises lui coûtent se trahissent
trop visiblement chez elle ; elle ne monte pas en jouant, en vol-
tigeant sur les cimes de ses points d'orgue, elle est comme obligée
de prendre son essor pour y atteindre.
   M. Achard a été on ne peut plus séduisant dans le capitaine
Maurice : fraîcheur de voix, méthode élégante et sûre, de la sen-
sibilité au besoin, toutes ces qualités ont assuré son succès et jus-
tifient la faveur dont le public l'entoure.           J. T.