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VISITE A SANT' ONOFRIO. 111 ce front que la souffrance irrite, ces lèvres minces et com- primées avec un sourire dédaigneux et ironique sur une mâchoire robuste, répondent bien a l'idée qu'on se fait du chantre de l'enfer et d'Ugolin ; du poète qui, même au sein du paradis, traversant avec Béatrix l'éternelle harmonie des divins soleils, haïssait encore et lançait l'ardente vengeance de son vers implacable sur ses ennemis. On admire le génie du Dante ; on aime avant tout celui du Tasse (1). J'ai soigneusement examiné si la tête et les traits dé Tor- quato offraient quelques traces extérieures pouvant dénoter une propension aux maladies mentales, un désordre dans les facultés intellectuelles. Je n'ai trouvé partout qu'un en- semble parfait et harmonieux de lignes et d'expression. Après avoir longtemps contemplé cette suave tête de martyr, ma conviction plus que jamais est que ce qu'on a nommé la démence du Tasse ne fut autre chose qu'un délire intermit- tent causé par d'atroces douleurs morales et les tortures de la prison. L'ânle enthousiaste dont la constante aspiration vers l'idéal survivant à la mort est demeurée empreinte sur la matière inerte et illumine ce masque de cire même de ses reflets, devait horriblement souffrir, privée d'espace et de lu- mière, et plus encore ce cœur passionné privé d'amour et d'amitié, privé de toute sympathie humaine. Au reste, mon opinion à cet égard est celle des meilleurs biographes italiens. ( 1 ) S'il est parmi les grands artistes de l'Italie un type présentant quelques rapports avec celui du Tasse, c'est la tète du Dominiquin. Non que ces figures illustres se ressemblent ! mais l'ensemble de la physionomie et du modelé trahit des affinités d'âme, de caractère, hélas ! on peut dire aussi de destinée ! Le spiritualisme, la candeur et le génie dominent dans toutes deux, ainsi qu'une propension aux affections tendres ; malgré ces ana- logies néanmoins, l'expression et les lignes de la tète du Tasse sont d'un ordre plus élevé.