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— 41 — Disons même qu'il en forme plus que de raison. Le chasseur et la bête qu'il poursuit en font deux et n'en devraient faire qu'un. Je n'ose affirmer catégoriquement que tel est aussi le cas des deux athlètes du sommet, qui ont l'air de s'affronter par delà leurs cadres et les méandres : on peut les concevoir comme une paire de lutteurs et c'est sans doute la conception la plus naturelle ; mais on peut à la rigueur soutenir qu'ils se livrent chacun pour soi à l'exercice d'entraînement qui consistait en la manœuvre des poings dans le vide *. Il n'en restera pas moins que l'artiste a isolé, une fois sinon deux, des figures faites pour être réunies. C'est la seconde bizarrerie de notre mosaïque, beaucoup moins rare que la première. Nous avons déjà constaté dans les mosaïques d'Orphée charmant les animaux l'usage fré- quent de ce procédé arbitraire, absurde, mais jugé favorable à l'effet déco- ratif. La célèbre mosaïque des promenades de Reims 3 nous en fournit un autre exemple tout à fait caractéristique : les trente-cinq panneaux dont elle se compose renferment, soit un bestiaire séparé par un double cadre du fauve qu'il combat, soit un gladiateur que le même obstacle éloigne de son adversaire ; soit un chasseur, deux chiens et les deux bêtes qu'ils poursui- vent, répartis en cinq cases contiguës, mais distinctes. Les mosaïstes ro- mains n'ont pu en venir à ce dédain de la vraisemblance qu'assez tard, après avoir pris l'habitude mauvaise de développer outre mesure le cadre orne- mental, qui exigeait beaucoup moins de savoir-faire, au détriment du tableau pittoresque, lequel fut tantôt seulement rétréci, comme dans notre mosaïque Cassaire, tantôt seulement morcelé, comme dans notre mosaïque Montant, parfois rétréci tout ensemble et morcelé, comme dans notre mosaïque Seguin, où la surface totale des six tableaux à figuresest infime par rapport à celle que garnissent les méandres et les bordures. S'étant laissé aller à fragmenter la scène pittoresque, à disperser les figures, à les isoler, à traiter chaque groupe ou chaque figure comme un tout indépendant, le peintre en mosaïque finit par ne plus se faire scrupule de séparer même ce qui était logiquement inséparable 3. Bref, la mosaïque Seguin appartient sans doute, comme la mosaïque Montant, au déclin du IIIe siècle. i. Dict. des antiq.gr, et rom., art.pugilatus, IV, p. 755. 3. Inventaire des mosaïques de la Gaule, n° 1072. Figure dans A. de Caumont, Abécédaire d'archéologie, Ère gallo-romaine, 2? éd., p. 67. 3. Voir Gauckler, art. Masivum, dans Dict. des antiq. gr, et rom., III, p. 3113.