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— 11 — Gobineau, qui vécut longtemps en province, n'avait pas été sans re- marquer les richesses morales et les réserves d'énergie qui y sont encloses. Avant Barrés il s'était promené dans cette « pépinière où le beau germe primitif se transmet de génération en génération ». Mais en constatant les forces vives de la province, le jeune sociologue s'était rendu compte de la tyrannie de l'Etat et de cette sorte d'étranglement causé par un système centralisateur très serré. Précisément à la même époque, c'est-à -dire en 1848, Lamennais critiquait une méthode administrative qui amène « l'apo- plexie au centre et la paralysie aux extrémités ». Plus que quiconque, Gobineau sentait ce besoin de différenciation ou « d'individualisme na- tional », pour employer la belle expression de M. Lavisse I. Toute sa vie il défendit ce programme économique et social, et vingt- deux ans plus tard, après les désastres de 1870, retiré dans son château de Trye en Beauvaisis, il conjure les provinces de s'allier et de réclamer leur autonomie administrative. Cette hantise des libertés communales nous la retrouvons naturelle- ment dans l'Essai, mais aussi dans la plupart de ses œuvres, même litté- raires. Le plus frappant exemple de cette continuité de pensée se fait jour dans l'Abbaye de Tiphaines 3. Ce très curieux roman peu connu, mais qui va être réédité dans quelques jours, parut en 1867, après certains rema- niements, car il avait déjà été publié en feuilleton en 1840. C'est une des- cription fort imagée de la vie des cloitres et des burgs du xn e siècle, sorte de reconstitution historique à la manière de Walter Scott où l'on assiste à la lutte ardente entre la commune de Tiphaines, avide d'obtenir ses franchises, et les moines d'une abbaye voisine, possesseurs de nombreux fiefs. Lecture vraiment passionnante de ce récit mise à part, les idées qui y sont développées attestent à quel point Gobineau, avant de nous pro- poser une théorie du régionalisme, avait étudié l'histoire de notre pays. Sa conclusion est que la cellule mère de la France est la commune avec ses libertés. Dans le même temps une influence considérable confirmait Gobineau 1. Ernest Lavisse, Vue générale sur l'histoire politique de l'Europe, p. 323,330. 2. L'Abbaye de Typhaines; Maillet, Paris, 1867, 1 vol. in-12. La Nouvelle Revue française prépare une réédition de ce roman.