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dans ses vues. Je veux parler de son maître Tocqueville. On sait quels
étroits rapports unirent ces deux esprits. Dès 1843 nous voyons Gobineau
travailler sous sa coupe et tracer pour lui « un abrégé des progrès et trans-
formations de la morale politique et sociale dans son état actuel * ».
Appelé aux Affaires Etrangères Tocqueville prendra Gobineau pour secré-
taire particulier. Ce choix décidera de la carrière diplomatique de notre
auteur. Cette amitié ne se démentira pas et, jusqu'à sa mort, survenue en
1859, Tocqueville ne cessera de correspondre avec son ancien protégé.
      A dire le vrai, ces deux esprits, d'un tempérament si contraire,
n'étaient guère faits pour s'entendre. Les tendances démocratiques et
l'optimisme de l'un ne pouvaient mener bon ménage avce le pessimisme
et hs goûts impérialistes de l'autre. Ils ne se ménagèrent ni les critiques
ni les objections, et je crois bien qu'ils ne demeurèrent d'accord que sur
un point, justement le régionalisme. Dans le troisième numéro de la Revue
provinciale qui s'ouvre sur un article de Gobineau, la centralisation devant
rassemblée nationale, le jeune écrivain s'écrie: « Il faut en croire M. de
Tocqueville ; il faut se réfugier dans les institutions communales, se re-
tremper dans la vérité vraie, morale, utile, pratique du foyer ». Plus tard,
en 1856, dans une longue et très importante lettre à l'auteur de l'Ancien
Régime et la Révolution, où Gobineau résume une partie de son système
politique, nous lisons :

      « Il me parait très difficile de pouvoir qualifier d'institutions libres
la mécanique plus ou moins compliquée que l'on superpose à une société
comme la nôtre pour la faire mouvoir. Un peuple qui, avec la république,
le gouvernement représentatif ou l'Empire, conserveratou jours pieusement
un amour immodéré pour l'intervention de l'État en toutes ses affaires,
pour la gendarmerie, pour l'obéissance passive au collecteur, au voyer,
à l'ingénieur, qui ne comprend plus l'administrarion municipale, et pour
qui la centralisation absolue et sans réplique est le dernier mot du bien, ce
peuple-là, non seulement n'aura jamais d'institutions libres, mais ne
comprendra même jamais ce que c'est ».

    1. Correspondance entre Alexis de Tocqueville et Arthur de Gobineau; Paris, Plon-Nourn't, 1909, 1 vol.
in-8,p.VI.