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        CHRONIQUE DE LA CURIOSITÉ
                               AVRIL-JUIN 1922

      Il y a quelques jours, un éminent collectionneur lyonnais, personnage considéra-
ble dans la cité, me disait son agréable surprise de trouver, à la Salle des Ventes, des
objets d'art dont quelques-uns étaient dignes de belles collections et se réjouissait de
voir le public s'y intéresser de plus en plus. En effet, les idées évoluent : le sentiment
du beau se développe. Le Lyonnais, qu'on a calomnié, apprécie les belles choses,
les achète, et même très cher quand elles sont vraiment belles. Et voilà une chose
excellente : il ne faut pas se lasser de le répéter.
      On a dit que l'architecture était de la musique muette. Musique muette bien
davantage est l'art décoratif. Dis-moi quel est ton intérieur et je te dirai qui tu es.
Comment penser que les gens qui ont vécu dans l'affreux mobilier du Deuxième
Empire et du commencement de la Troisième République aient pu développer leur
goût.
Les objets qui nous entourent ont une influence sur nos pensées, nos sentiments, sur
notre vie : ce sont là des vérités premières. Orienter le public vers les belles choses
doit être la noble ambition de ceux qui peuvent le faire et il est très souhaitable de
voir se multiplier à Lyon les conférences, les expositions, toutes les manifestations
artistiques. La publicité de la Salle des Ventes est un des moyens les plus puissants
pour développer le goût du beau. Combien de gens ne se seraient pas avisés d'acqué-
rir des objets artistiques s'ils n'avaient été entraînés par l'atmosphère spéciale d'une
vente publique. Il faut être déjà amateur, un peu connaisseur pour aller chez l'anti-
quaire : le débutant a peur d'être trompé. La Salle des Ventes lui donne davantage
confiance, il mise parce que son voisin mise, l'amour-propre s'en mêle, c'est intéres-
sant, quelquefois passionnant et beaucoup qui sont venus à une vente en curieux
deviennent amateurs enragés.
     C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que la Salle des Ventes devienne trop
petite lorsque les objets mis en vente présentent de l'intérêt, à plus forte raison quand
les objets sont d'un intérêt exceptionnel.
     C'est ce qui est arrivé dans une vente dans laquelle était réuni un bel ensemble de
meubles, sièges, objets d'art, et qui eut lieu fin mars.
     Le succès a dépassé toutes les prévisions. La pièce principale était une suite, ou
plutôt un ensemble de quatre tapisseries des Flandres d'une fraîcheur et d'une qualité
exceptionnelles. L'une d'elles était signée Béhagle, qui fut directeur de la manufac-
ture royale de Beauvais à la fin du xvir3 siècle et au commencement du xvm e : il est
connu comme un excellent dessinateur et a fait de nombreux cartons pour tapisseries.
Une quantité de volatiles et d'animaux aux couleurs éclatantes égayaient d'une vie