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BIBLIOGRAPHIE 471 pour apprendre à la fois le respect de la forme et l'horreur de la phrase. Qu'enseigne-t-on aux élèves de l'école ? En fait-on des classiques ou des réalistes, puisqu'il est convenu qu'il n'y plus de romantiques ? Je n'en sais rien, et ceux de mes anciens camarades qui y enseignent aujour- d'hui ne le savent guère davantage. Ce que nous savons tous, c'est qu'on fait à l'école tous ses efforts pour dégoûter les élèves de la manie de parler pour ne rien dire. C'est leur assurer par avance une place assez distinguée dans le journalisme, s'ils y entrent jamais ; car nous constatons chaque matin que cette qualité est, dans nos journaux, plus rare qu'on ne le croit communément. Ces qualités de justesse, de précision dans la pensée et dans l'expression, M. Lemaître en a donné mainte preuve dans ce volume de portraits contemporains. Quelques- unes de ses peintures, celle de M. Renan entre autres, ont fait sensation, et c'était de toute justice. Le peintre avait affaire à un modèle, qui ne craint point de poser sans aucun doute, mais qui se dérobe toujours bien avant la fin de la séance, avant que l'artiste ait eu le temps de saisir ses traits. Si jamais les mots ondoyant et divers ont dû s'appli- quer, c'est bien à ce caractère pour "qui le doute est une seconde nature et l'ironie un perpétuel procédé. M. Lemaî- tre a cependant tracé de M. Renan un portrait qui mérite de rester, l'un des plus complets et des plus impartiaux que je connaisse. Portrait un peu extérieur évidemment! Qui a jamais en effet pénétré le fond de cette âme qui est une énigme pour tous et peut-être pour elle-même ? Parmi tous les doutes que M. Renan accumule figure évidemment celui de la présence de l'être moral derrière l'écrivain. M. Lemaître pouvait décrire le rideau: il ne pouvait le lever; c'est incontestable.