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                   D'UN VIEUX GROGNARD                     269
imposés en l'improvisant ainsi le père de la petite créature
à laquelle l'attachait aussi un attrait inexplicable. Il crut
que la vie au grand air, sous sa protection constante, avec
le lait de ses chèvres et l'assistance de ses chiens, valait
mieux que l'air enfumé d'une cabane de paysan et qu'une
surveillance mercenaire. Il fit donc à Airelle une place sur
sa personne, du côté gauche, au-dessus de ses herbes, dans
une des vastes poches de sa gibecière, d'abord, et sur son
dos, plus tard, quand l'enfant put s'accrocher à son cou et
s'y tenir seule. Au reste, Airelle marcha bientôt et à deux
ans, elle trottinait gentiment et sans aide avec le reste du
troupeau.
    La petite fille avait une affection passionnée pour l'homme
qui lui avait servi de père et dont la nature supérieure, d'ail-
leurs, la tenait sous une sorte de charme. En grandissant,
elle s'identifia tellement avec les idées et les sentiments du
sorcier qu'elle en devint l'interprète autorisée, et c'est elle
qui, connaissant à la fois le sens des gestes et des sifflets
 du sorcier, et le langage des paysans de la contrée, expli-
quait à ces derniers les propriétés des simples désignés par
son père et le moyen de les employer.
    Il paraît que les recettes du Grand-Pâtre n'étaient pas
 sans efficacité. J'ai souvent pensé, depuis, à la médecine de
 ce personnage et je présume que son action personnelle,
 c'est-à-dire l'espèce de magnétisme que sa taille, ses regards,
 la singularité de son costume et de sa vie, exerçait sur ses
 visiteurs, devait accroître singulièrement et parfois même
 suppléer la vertu de ses herbes. C'est pour cela, sans doute,
 qu'on croyait assez communément dans le pays qu'il ne
 suffisait pas pour être guéri d'employer le vrai remède,
 mais qu'il fallait le recevoir des mains du Grand-Pâtre et
  baiser le signe sacré sur son manteau. Quoi qu'il en soit,