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D'UN VIEUX GROGNARD 267 valiers de Malte datait à peine d'une trentaine d'années. Ces Hospitaliers portaient le bonnet carré, un long manteau sans manches attaché au cou et brodé sur l'épaule droite, le tau grec, où les uns voient simplement une croix et les autres l'emblème de la Trinité, mais qui doit répondre à quelque symbole plus ancien, puisque mon précepteur me l'a montré mentionné dans un livre de l'Ancien Testament. Ils avaient le droit de quêter partout avec une sonnette et ils se faisaient suivre ordinairement d'un porc. Les Anto- nins possédaient autrefois une commanderie à Aubenas, mais la destruction de cet établissement remontant aux guerres religieuses, l'abbé Velay supposait que le Grand Pâtre était plutôt un survivant de quelque autre maison des Antonins fermée au milieu du xvm e siècle. Le fait est qu'il portait sur son manteau le tau caractéristique des frères de saint Antoine, et cette circonstance, en frappant l'imagina- tion des montagnards, chez qui s'était perpétuée la tradition des Antonins d'Aubenas, n'avait pas médiocrement contri- bué à gagner leur confiance. Quand de pauvres diables venaient l'implorer pour leur santé, il se contentait, après les avoir examinés longuement, de prendre dans sa gibecière ou a sa ceinture un spécimen des simples qui leur convenaient, ou, s'il ne les avait pas, il lui suffisait d'un signe ou d'un sifflement pour qu'une de ses bêtes partît à grand train et rapportât bientôt dans sa gueule ou à son bec la panacée désirée. Puis il leur faisait baiser le tau et les renvoyait pleins d'espoir. Les paysans payaient le sorcier en tranches de pain bis : c'était la seule chose qu'il acceptât, et il aurait considéré comme une insulte l'offre d'une rémunération en argent. Il ne buvait que de l'eau pure et n'admettait pas qu'on pût manger la chair d'un être vivant : le pain bis qu'on lui