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D'APRÈS NATURE 9J Le père Desgaud était satisfait de tout ce qu'il voyait quand, tout à coup, il se lève vivement, les sourcils froncés et, pour mieux voir, faisant visière avec sa main, il s'assure qu'il ne s'est pas trompé. Qu'a-t-il donc vu? Dans le petit jardin entouré de murs blancs, à peine de la hauteur d'un homme, une femme est debout sur un banc, appuyée contre le tronc penché d'un vieux pommier et semble causer, par dessus les framboisiers et le mur, avec un jeune garçon; celui-ci, par contenance villageoise, émonde une branche d'aubé- pin. Desgaud a vu de suite que cette femme était sa fille, la Benoîte, et que le gars qui lui parlait était le Toine. Ils causaient encore tous deux quand le vigneron, essou- flé par son allure rapide, appela la Benoîte ; il est l'heure de porter à manger aux vaches, et cela lui fut ordonné d'un ton qui n'admet pas réplique ; puis, sans plus dire, faisant le tour du jardinet, il espère trouver le jeune homme et lui signifier congé ; mais il était parti, timide et aventureux comme on l'est quand on est amoureux. Le Toine, un fort et beau gaillard, fils d'un pauvre jour- nalier de la commune voisine, était en effet amoureux de la Benoîte ; il l'avait vue à la vogue de Larnas ; elle aurait bien voulu accepter la danse à laquelle il l'invitait, mais la gaucherie de ses seize ans lui avait fait refuser. Depuis, sans trop savoir comment, — elle du moins — ils s'étaient rencontrés plusieurs fois, échangeant des paroles banales et rien de plus; mais cela suffisait à la rustique et naïve coquette qui n'éprouvait pas d'autres sentiments que le plaisir vaniteux d'être fréquentée. Tandis que le premier amour, chez l'homme, est fait de tendresse, chez la femme, même au village, il est fait de vanité. Le Toine s'était mis à aimer la Benoîte, séduit par ses /