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LE NUMÉRO 2 1 59 Autant que je puis en juger, ils se sont accoudés au balcon, l'un près de l'autre. Tous deux, frais échappés du nid maternel, en sont à chanter ce cantique des cantiques, répété depuis trois mille ans déjà , quand le fils de David entreprit de le noter, qui n'a cessé d'être redit depuis les jours de Salomon et de la Sulamite, et qui retentira jusqu'à la fin des temps ! A parler vrai, dans le duo je ne perçois guère que la voix de la jeune femme — ou plutôt de la jeune fille, puisque tous deux en sont encore à se dire vous. Mais, du mutisme de son mari, il ne faudrait point conclure qu'il s'abstienne de donner la réplique à sa compagne. Au contraire, de nombreuses onomatopées m'avertissent qu'il prend à l'en- tretien une part très active et très éloquente. Ma situation devenait intolérable. Rester en tiers dans ce tête-à -tête constituait presque un sacrilège. Que faire? Une grande heure me séparait encore du moment où l'on vien- drait me réveiller. J'eus d'abord l'idée de me mettre avec fracas à ma toi- lette et à mes préparatifs de départ, afin d'avertir loyale- ment mes voisins que quelqu'un veillait à côté d'eux. Mais, préoccupés comme ils l'étaient, m'eussent-ils entendu ? Et, d'ailleurs, n'y aurait-il pas eu cruauté à interrompre cet hymne qui se dit à deux, seulement une fois, et dont le souvenir suffit à alléger ensuite les pénibles étapes d'ici-bas, à ceux qui jadis l'ont ensemble murmuré ? J'eus vite pris un parti contraire. Achevant à la hâte et sans bruit ma toilette, je bouclai ma malle et en fis jouer les serrures, avec tout le soin que met un malfaiteur trem- blant de donner l'éveil. Puis je descendis à pas de loup l'escalier désert et ténébreux. En bas, sur un matelas étendu dans le bureau, un garçon de garde dormait, tout vêtu. « Mais, dit-il en sursautant,