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                       MON AMI GABRIEL      «             141

  la maîtresse de la maison, et celle-ci s'approcha de Nelly,
  qui sortit horriblement pâle.
     A ce brusque départ, les danses s'arrêtèrent, le piano
  cessa de vibrer et au même instant le roulement d'une
  voiture qui s'éloignait se fit entendre dans la cour ; puis,
  plus rien.
     Deux hommes, debout dans l'embrasure d'une fenêtre,
  se regardèrent comme deux augures.
     — Qu'est-il donc arrivé ? se demandait-on tous bas.
    — Ce doit être le baron Heuffzel! pensa le substitut.
     En effet, c'était lui. Il y avait un an que sa femme
 n'avait eu de ses nouvelles. On lui avait appris seulement
 que le banquier, convaincu d'entretenir des relations
 suspectes avec la Prusse, avait quitté l'Alsace et trans-
 porté ses comptoirs à Berlin.
    Le mari attendait sa femme dans le petit salon du
 Chalet. Nelly entra pâle et tremblante d'émotion. Le
 baron était debout, impassible, adossé à la cheminée, la
 main droite passée dans sa redingote boutonnée, dans
 l'attitude d'un officier allemand en présence d'un subal-
 terne. Il n'avait pas changé. Sa haute taille ne se voûtait
 point encore ; son œil terne lançait par intervalles les
 mêmes éclairs sinistres que Nelly connaissait; son front
 assez vaste était à peine dégarni ; sa barbe épaisse et
 fauve témoignait seule, à son extrémité grisonnante, que
la vieillesse avait prise sur cette robuste constitution.,
    — Madame, dit-il, vous êtes mieux, puisque vous allez
dans le mon je. Tant mieux pour vous, si vous vous
amusez... mais vous ne devez pas attendre les mauvais
jours pour quitter Salins. D'ailleurs, ajouta-t-il avec
affectation, il m'est avis que votre intérêt vous ordonne
de partir. J'ai décidé ainsi, et j'aurai le plaisir de vous
accompagner.