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                     MON AMI GABRIEL                    63
— J'ai pris une si grande habitude de l'isolement,
dit tout-à-coup la jeune femme, que je ne sais plus
soutenir une conversation. Avec mes amis, vous le voyez,
j'en use à mon aise.
    — Je suis trop heureux, répondit-il, que vous me
comptiez parmi vos amis. Moi qui suis uni sauvage et
qui n'ai pas été formé aux délicatesses du monde, je
vous remercie de tout mon cœur, madame, de vous
mettre en quelque sorte à ma portée. Tenez! vous ne
sauriez croire combien je suis touché de la simplicité et
de la franchise que vous avez à mon égard ! vous avez
apprivoisé un loup, qui était venu à vous sur la foi de
je ne sais quelle attraction irrésistible, et vous lé tenez
enchaîné et dompté par la confiance et l'estime.
    Ces paroles auxquelles Nelly était loin de s'attendre,
lui causèrent une profonde émotion et lui firent com-
prendre ce qu'une semblable situation à cette heure
avait de singulier.
    — Votre comparaison, reprit-elle avec tout le calme
dont elle était capable, n'est pas flatteuse pour vous...
Quanta moi, hélas ! je suis loin d'avoir le prestige d'une
charmeuse. Dites-le franchement ; ce n'est point le rôle
de chevalier servant de la comtesse de Sérona, qui vous
 a séduit lorsque vous avez voulu m'être présenté. C'est
 à la pauvre malade abandonnée que votre charité a
tendu la main; c'est ma faiblesse qui vous attirait et la
 souffrance m'a valu votre amitié.
    — Peut-être.
    — Je remercie Dieu de m'avoir fait .connaître un
 si notre cœur. Dans mon existence sans but et sans
 espoir, je commençais à douter de toutes les créa-
 tures,,. :
                               EMMANUEL VINGPINIER*
     (A suivre.)