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J'AI RETROUVÉ MA CRAIE. I3l lant les portes, les murs, les contrevents, toute surface unie qui favorisait l'essor de mon nouveau penchant. Là , je plaçais en sentinelle un guerrier de la tenue la plus martiale ; ici, revenu à des idées moins belliqueuses, je me livrais aux charmes d'esquisser un paysage peu compli- qué, et ne se composant guère que d'une maison et d'un arbre ; ailleurs, je faisais glisser sur la mer rouge, à coup sûr, un bateau à voiles ; j'allais manquer d'espace favo- rable pour y tracer mes essais en tout genre, lorsque l'un de mes oncles, n'appréciant que fort peu leur mérite, me tança vertement sur cette manie de peinture murale qui s'était emparée de moi, et s'empara lui-même, pour m'en guérir, du morceau de craie rouge, instrument de mes dé- lits ; puis il le jeta, dans son indignation, au sein d'un car- reau de cardons armés de piquants acérés et nombreux, espérant sans doute que je n'irais pas l'y chercher ou que je ne pourrais point le trouver. On conçoit mon désappointement, ma douleur, en me voyant privé de l'instrument de mes joies enfantines; aussi, plus courroucé contre mon oncle que honteux de mon mé- fait, j'attsndis le moment où je fus seul dans le jardin pour me précipiter au milieu des cardons, braver leurs piqûres, et chercher ma craie à l'endroit où la barbarie d'un parent l'avait lancée. Je la trouvai, enfin, non sans m'être mis les mains en sang pour arriver jusqu'à elle; mais enfin je la tenais, j'étais vengé, et, pour signaler mon triomphe et braver un oncle capable de mépriser mes croquis, j'allai chercher une échelle chez le jardinier et, l'appliquant con- tre la maison, je gravis les bâtons les plus élevés et je tra- çai en lettres rouges sur une large pierre de roche ces mots gigantesques et vainqueurs : J'AI RETROUVÉ MA CRAIE. Cependant, ce premier moment d'audace passé, je trem- blai quelque peu pour ses suites, je trouvai mon inscrip-