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64 DES RELATIONS PASSAGÈRES.
très-bien cependant, et pour plaire au goût scientifique qui
règne en nos murs, j'en ai fait l'analyse que voici :
D'abord le piquant de la nouveauté rend raison du plaisir
que nous éprouvons en examinant des hommes et des objets
que nous n'avons pas encore vus. Chacun de nous porte en
soi et sur soi un certain je ne sais quoi de pittoresque et
d'imprévu qui alimente et satisfait au premier abord la cu-
riosité d'autrui. Les traits de la figure, la structure, l'ha-
billement, les manières, voila pour les yeux ; la prononcia-
tion, le timbre de la voix, voila pour l'oreille; enfin, la
tournure de l'esprit, l'instruction, l'amabilité, voila pour
l'esprit. Certes, quand les gens avec lesquels nous vivons
sont dépouillés pour nous de ce triple prestige, doit-on
s'étonner qu'ils nous paraissent plus monotones ; ils devien-
nent pour nous comme ces romans dont on démêle l'intrigue
et prévoit le dénoûment dès le premier volume, et qui n'of-
frent que peu d'intérêt a les poursuivre, tandis qu'un étran-
ger est un ouvrage dont nous ne voyons que le titre, et dont
nous brûlons de savoir le contenu. Puis un homme ennuyeux
pour sa coterie habituelle peut presque paraître aimable
dans la nouvelle société où il se transplante et va débiter
son répertoire d'anecdotes tout frais pour elle, ses bons
mots usés ailleurs, et produire un type d'originalité dont
ses amis se sont lassés a la longue. Cela nous explique
pourquoi certains sots aiment h voyager, et comment ils
échappent quelquefois dans leurs courses à la réputation
d'hommes nauséabonds qu'iis se sont solidement bâtie dans
leur pays. Il est de fait qu'il n'est pas d'endroits où j'aie
trouvé plus de gens aimables que dans les paquebots à va-
peur et les voitures publiques, et cela parce que les dis-
tractions d'un voyage, les peines qu'on y oublie, la santé
qu'ils affermissent, donnent a ceux qui les font une bonne
humeur exceptionnelle, une gaîté parasite qu'ils sont loin