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                        VICTORIA LAFONTAINE.                          227
n'y jouait que les dimanches. M. Rozet, homme de goût, directeur
habile, a formé de bons élèves. Quelques uns se sont fait une réputa-
tion, non-seulement à Lyon, mais à Paris.
    Les succès de Victoria Valous furent plus brillants encore sur le
théâtre Rozet que dans la boîte de Coton. Les leçons du maître, par-
faitement comprises et interprétées, firent bientôt de l'élève une ar-
tiste hors ligne, dont la réputation se répandait de la Croix-Rousse à
la Mulatière, aussi les bonnes femmes du quartier, avant de donner
leurs 30 centimes pour entrer, avaient-elles l'habitude de demander :
 Victoria jou»;-t-elle? si on répondait : non, elles faisaient la révé-
 rence, en annonçant qu'elles reviendraient le dimanche suivant.
     Pendant les trois années qu'elle joua au théâtre Rozet, Victoria
 sut se faire adorer de ses camarades comme du public, et ce qui est
 plus beau, plus rare peut-être, elle sut s'environner du respect de
 tous. Toujours accompagnée de son père et de sa mère, toujours es-
 cortée, à sa sortie de la salle, d'une foule d'amis, elle [faisait une ren-
 trée triomphante chez elle.
     Dans son intérieur, comme au théâtre, elle était l'enfant gâtée de
 tous, sans jamais cesser d'être douce, simple, affectueuse, et, avec
  son tact exquis, sans jamais s'en faire accroître auprès de ses com-
  pagnes qui, en reconnaissant sa supériorité , la lui pardonnaient de
  tout leur cœur.
     Le plus enthousiaste, le plus fanatique de ses adorateurs était son
  père qui applaudissait à tout rompre, sans honte et sans vergogne, et
  qui prononçait : C'est ma fille, avec un accent dont se souviennent
  encore les échos du théâtre Rozet.
     Victoria avait seize ans. Sa réputation avait, non-seulement franchi
  l'octroi, mais encore la frontière. Un jour , elle partit avec sa mère,
  munie d'un engagement très-présentable pour le théâtre royal de
  Chambéry.
      Là elle soutint sa réputation , fut applaudie, des Savoisiens et, son
  engagement expiré, se dirigea vers le midi de la France. A Nimes,
   son triomphe était si grand que son père, amoureux fou de sa fille,
   trop pauvre pour prendre la voilure ou le bateau, fit le voyage à pied,
   malgré sa faiblesse et son âge, malgré la chaleur, malgré la longueur
   du chemin, soutenu, porté plutôt par la pensée d'aller entendre
   les applaudissements passionnes que les Nîmois adressaient à son
   enfant.
      Rien ne peut rendre la joie, l'enivrement de l'humble bouquiniste,