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VICTORIA LAFONTAINE. 223 passaient auprès des autres compagnies pour être des patriotes in- domptables. On affectait de les redouter et. dans le bataillon, on les avait surnommés les sans-terre. La lune brillait au ciel et, dans uncoin du corps de garde, quatre hommes à la mine sauvage causaient à voix basse, on eût dit qu'ils cherchaient à ne pas être entendus de leurs voisins ; on les eût pris volontiers pour des conspirateurs. L'un, très-petit, très-maigre, souffreteux, était bouquiniste sur le quai de la Charité, l'autre, plus petit et plus maigre encore, était ou- vrier compositeur dans une imprimerie connue dans notre ville pour quelques belles éditions, l'imprimerie Boitel; le troisième était un ouvrier en soie de la rue de la Charité; le quatrième était... votre serviteur. — Votre conduite est blâmable, père Valous, disait le numéro 2 au numéro 1. Si votre fillette a la moitié du talent que vous dites, elle se gâtera dans la baraque de Jérôme Coton. Elle y prendra mauvais ton, mauvais genre et mauvaises manières. — Et pis encore, ajouta le numéro 3. — Je suis de cet avis, reprit le numéro 4. — Et puis, est-il bien nécessaire qu'au lieu de rester une bonne et honnête ouvrière, votre fille devienne une actrice ? continua le n° 2. Oui, je sais ce que vous allez dire , le commerce est mort, les mé- tiers sont à bas et il faut vivre ; mais, croyez-moi, la crise n'aura qu'un temps. Il faudra bien qu'un jour ou l'autre on se remette au travail. Si vous pensez qu'il y aura toujours des spectacles et des théâtres, soyez certain qu'il y aura toujoui»aussi des robes, des cha- peaux, des cols et des mouchf irs. — Plus bas, plus bas, on croirait que vous parlez contre la républi- que. Oui, à votre idée, il vaudrait mieux que ma fille fût tailleuse ou piqueuse de bottines, mais si vous saviez-comme elle joue ! comme elle vous récite son petit bout de rôle, comme elle est applaudie quand elle. paraît, comme on la rappelle quand elle sort. Jérôme Coton dit qu'elle a l'étoffe pour être une grande artiste. — Qu'en sait-il? S'y connaît-il? Et lui-même, comment joue-t-il sur son Théâtre national de la Guillotière ? L'avez-vous vu dans ces drames de M. de Pixérécourt, dans ces méli-mélodrames où l'on se bat à la hache, dans ces pièces absurdes dont j'ai composé moi-même les affiches : Le Solitaire de la Roche noire, le Monastère aban- donné, le Mont Sauvage, la Forteresse. du Danube, Y Homme à trois 15