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TRAITRE OU HÉROS. 233 nombre, richement costumées ; elles s'asseyent et travaillent en cercle, les hommes se placent en dehors el rôdent autour d'elles. Avec le travail commence entre les hommes et les femmes une lutte galante en strophes improvisées et chantées au son d'une guittare à cordes métalliques. Ces strophes ont pour sujet une fleur offerte et refusée, une déclaration, une rencontre, etc., elles forment pendant des heures entières un dialogue animé où le génie national éclale dans toute la vivacité de ses allures ; les Sardes y trouvent naturellement l'occasion de faire preuve de celte étonnante richesse d'ima- gination toujours prèle à s'échapper en saillies ingénieuses, et qui leur est propre, de celte délicatesse d'esprit que ré- vèle la finesse des allégories dont leur langage poétique est orné (1). Antonio et Thérésina excellaient l'un et l'autre dans ces luttes charmantes où leurs sentiments secrets savaient se ré- véler sous des formes dont le voile même n'était entre eux qu'une séduction de plus. Une circonstance dans laquelle on vit la manifestation de leurs intentions réciproques et qui m'amène à parler de l'un des plus singuliers usages que la Sardaigne ait évidemment conservés de l'antiquité païenne, vint donner comme une consécration publique à l'amour des deux jeunes gens. Outre le compérage pour un enfant tenu au baptême ou à la confirmation, il en existe en Sardaigne un troisième; on le nomme le compérage de la Saint-Jean. Bien que les liens de ce compérage ne durent qu'un an, ils sont très-res- pectés ; voici comment ils se forment : Le jour de la Fête-Dieu qui tombe ordinairement vers la fin de mai, les jeunes filles façonnent un vase en écorce de (1) Le général de La Marmora a donné la description et le dessin d'une de ces réunions connues sous le nom de grmninatorgiù, mot dérivé du verbe sarde graminare, éplucher, carder.