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TRAITRE OU HÉROS. 221 « dans un vase où chacun des convives va boire à son « tour. Le supplicié ne pousse pas un cri, pas une plainte, « et les bourreaux sont si acharnés à leur proie, si enivrés « de leur affreux breuvage qu'il n'en laissent rien perdre. » {Journal du Désert, p. 82). C'est que le pardon n'est point un fruit naturel du cœur humain, qui, après l'offense, s'il n'écoule que sa propre im- pulsion, ne trouvera jamais rien de si raisonnable que la haine, ni de si juste que la vengeance. La charité vient de Dieu et n'est point de l'homme : « Trompés par la plus heu- reuse des habitudes, dit admirablement M. de Maislre, nous regardons souvent la morale évangélique comme naturelle, elle n'est que naturalisée. » Mais je m'aperçois qu'ayant promis un récit, je disserte au lieu de raconter. J'ai donc besoin de justifier les considé- rations épisodiques dans lesquelles je viens d'entrer, en faisant voir, par le but que je me suis proposé, qu'elles ne sont point tout à fait un hors d'œuvre. J'ai voulu ne laisser à la pauvre Sardaigne, si calomniée, si peu connue et si digne de l'être, que la seule part qui puisse légitimement lui être imputée (part, hélas! tropgrande encore!) dans le reproche sans cesse reproduit contre elle, et qui, supposant dans le caractère de ses habitants des instincts contraires aux lois de la civilisation qui ne s'y rencontrent sous aucun rapport, tendraient à faire du crime anli-social de vendetta, comme un crime caractéristique et à elle propre. Ce reproche, en marquant le front de l'hospitalière Ichnusa (1) du signe dont fut marqué le front de Caïn, dénaturerait com- plètement, s'il devait prévaloir, la vraie physionomie morale de celte lerre généreuse, et la mettrait au ban des peuples civilisés, par la moins soutenable des injustices. J'ai donc (1) Premier nom de l'île de Sardaigne.