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LA CIGALE ET LA FOCBMI. 513 parmi les meilleures de La Fontaine et que l'on ne comprend guère pourquoi elle figure en tête de son recueil. » Le fabuliste n'aurait-il pas raison de se plaindre d'un pareil procédé? Partant d'un point de vue faux, vous trouvez dans cette charmante pièce des obscurités, des non sens, une morale négative ou dangereuse et l'enfant qui vous écoute est amené à penser, comme vous , que non seulement cette jolie fable est absurde mais que l'auteur avait un cœur cruel, allégation contre laquelle Jean La Fontaine protesterait si, comme moi, il avait votre article sous les yeux, ou dont peut-être il rirait aux larmes avec ses amis, Racine, Molière, Chapelle et Boileau, et cela, bien entendu, aux dépens de notre siècle de lumières, ce qui ne serait pas flatteur pour nous. Si, ayant moi-même à commenter Le Loup et l'Agneau, j'expliquais à de jeunes élèves qu'un pauvre et brave loup , fort altéré, s'était vu contraint de croquer un insolent agneau qui, non content de l'insulter, avait troublé l'eau dans laquelle il comptait se désaltérer, ne serais-je pas embarrassé à chaque vers par les expressions de l'auteur, en opposition constante avec ma manière de voir? Ne serais-jc pas amené à dire que « Cet animal plein de rage » est une contre vérité, et que La Fontaine, en qualifiant ainsi cet honnête croque-mouton, avait fait comme les Grecs qui appelaient les Furies desEuménides?Ne serais-je pas forcé de déclarer que : « Tu la troubles, reprit cette bêle cruelle... » est un vers obscur, comme on en trouve un cer- tain nombre dans La Fontaine ? Enfin, Monsieur, ne seriez-vous pas en droit de me dire que je me donne une peine infinie pour torturer le sens de cette fable, charmante et très-morale aux yeux de tout le monde, absurde à mon point de vue, le loup étant un mauvais personnage, l'agneau une victime auquel on doit porter intérêt ? Le service que vous me rendriez en m'arrêtant au milieu de mes explications nuageuses et saugrenues est celui que je prends la liberté de vous rendre aujourd'hui. D'après vous, en effet, Monsieur, la Cigale est une vagabonde, une aventurière, une mendiante et la Fourmi une honnête mé- nagère , une femme prudente, pleine d'ordre et d'économie, 33