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518 LA CIGALE ET LA FOURMI. comme exemple à notre jeune génération déjà bien suffisamment portée au culte de la matière et de l'or, et cette pièce vous inspire la réflexion suivante, que je me permettrai de trouver au moins singulière : « RÉFLEXION. Cette fable ne compte pas parmi les meilleures de La Fontaine, et l'on ne comprend guère pourquoi elle figure en tète de son recueil. La morale en est toute négative; car s'il convient d'éviter l'imprévoyance de la Cigale, il ne faut pas imiter la dureté railleuse de la Fourmi. Puis, est-ce bien à La Fontaine qu'il convenait de se montrer impitoyable envers la paresse insoucieuse du lendemain? Le bonhomme avait dans le caractère autant d'imurévoyance que la Cigale, mais il trouva toujours chez ses amis des cœurs prêts à l'obliger. On regrette qu'il ne s'en soit pas souvenu avant d'écrire le vers brutal qui termine sa fable. » Eh quoi ! Monsieur, vous ne comprenez pas pourquoi le poète a ouvert son volume de fables par cette sanglante leçon à l'adresse de ceux qui avaient été durs pour lui ? Vous avez reconnu, sous les traits de la Cigale, la figure du bonhomme qui mangea son bien avec son revenu et vous vous êtes réjoui de son infortune ? vous n'avez pas écouté sa plainte après avoir joui de son chant? Quand il vous a dit de sa voix douce et triste : « Les prêteurs sont bien cruels pour les pauvres gens, » vous avez répondu : « Ce vers est obscur comme tant d'autres des œuvres de La Fontaine. » Quand il vous a fait la confidence, qu'au lieu d'exer- cer dans une humble petite ville la charge que son père lui avait laissée et qui ne convenait pas à ses goûts et à ses aptitudes, il avait doté son pays d'un des chefs-d'œuvre qui ont le plus illustré le grand siècle de Louis XIV, mais qu'il était tombé dans une position malheureuse, vous avez répondu qu'en effet, dans tous les temps et jusqu'à ce jour, les poètes avaient passé pour être de tristes modèles de légèreté et d'insouciance, et qu'il fallait éviter de prendre pour exemple ces gens-là . C'est absolument comme si vous disiez à vos élèves, Monsieur : — « Mes enfants, gardez-vous de consacrer votre intelligence, votre génie à illus- trer le pays qui vous a vu naître. Depuis Homère jusqu'à nous,