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CHRONIQUE LOCALE. Une dame disait, un jour de la belle année 1848 : « Mon Dieu que le temps me d u r e ! A h ! je sais pourquoi; c'est que depuis le commencement de la semaine nous n'avons eu ni ma- nifestation ni émeute. » Nous en dirons certainement autant quand, la ville complètement mise à neuf, il ne nous restera plus qu'à nous promener dans de grandes rues, de larges places et sur de vastes quais, veufs de maçons , de plâtriers, de démolisseurs, de paveurs , d'échelles , de brouettes et de las de pierres. Mon Dieu, que le temps nous durera quand nous serons livrés à nous- mêmes et que nous en serons réduits aux allants et venants de notre jeunesse ! Heureusement que ce temps est loin encore. On va mettre à l'alignement quelques maisons de la rue Centrale, les rues transversales , toutes sujettes à reculement, voient tom- ber les angles de chacune de leurs extrémités et, désormais sans défense , elles vont suivre le mouvement général ; la ville est eventrée de la place du Plâtre aux Jacobins, non entièrement et en une tranchée, mais par mille endroits à la fois, et bientôt les maçons vainqueurs pourront correspondre et s'entendre de Belle- cour aux Terreaux. Le Grenier à sel et la Douane s'écroulent, la place des Carmes voit tomber le pâté de maisons qui la séparait du Jardin des Plantes. Nous avons vu donner aujourd'hui le premier coup de pioche à l'Allée des Images, et ce coup vibrant sur le coin d'une pierre de taille , a retenti dans notre cœur. Pauvre Allée des Images si pleine de paniers, de cartons, de figures en- luminées de la fabrique de Metz ou d'Epinal, pauvre Allée des Images où nous avons fait de si nombreuses et de si longues sta- tions devant les vues de la Suisse et de l'Allemagne, les carica- tures du moment ou les héros du jour, qui te remplacera? où retrouverons-nous Damon et Henriette, le Juif errant, Geneviève de Brabant, Ledru-Rollin , Lamartine et Garibaldi? Comment saurons-nous la préoccupation du moment, la direction des es- prits, la température de l'opinion? L'Allée des Images était le baromètre , la girouette, l'horloge à consulter ; elle ne mentait pas, elle n'était, pas en retard, elle ne se dérangeait jamais ; tou- jours elle disait au passant ce qu'il fallait craindre ou espérer, mais seulement ce jour-là même, sauf à changer le lendemain à la suite de l'opinion , comme l'horloge h la suite du soleil, la gi- rouette au souffle du vent. Pauvre Allée des Images, qui ne r e - grettera tes dalles glissantes, ton passage mal éclairé, ta couleur locale et tes souvenirs variés ? Après l'Allée des Images nous ne tarderons pas à voir tomber l'Allée de l'Argue et ses magasins de tailleurs, de coiffeurs, de modistes et de quincailliers. Regretterons-nous ces cafés chan- tants, Guignol et le Caveau ? ces promeneurs avinés, et ces dames devenues rares, qui le soir faisaient leurs galeries de ce passage aux acres senteurs? non, et ici nous appellerons la pioche et le marteau, de la rue Impériale à la place des Jacobins, et nous n'aurons qu'un regret, c'est de ne pas voir l'œuvre de destruction