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                               MBU0GRAPH1E.                               331
  qu'à l'époque de la séparation, ceux qui connaissaient aussi peu cette
  affaire alors, que nous maintenant, eussent montré celle indulgence, qui,
  en pareille occasion n'est que justice.
     Nous ne connaissons pas de spectacle plus ridicule que celui qu'offre
  le peuple anglais dans un de ses accès périodiques de moralité. En temps
  ordinaire, enlèvements, divorces et querelles de famille passent presque
  inaperçus. Nous lisons le scandale, nous en causons pendant une journée,
 puis nous l'oublions. Mais une fois en six ou sept ans notre vertu se trouve
 outragée. Nous ue pouvons souffrir que les lois de la religion et de la
 bienséance soient violées. Il nous faut mettre un frein aux vices et appren-
 dre aux libertins que le peuple anglais sait apprécier l'importance des
 liens de la famille. En conséquence, quelque malheureurcux pas plus dé-
 pravé que cent autres auquels on a pardonné, est choisi comme victime
 expiatoire. S'il a des enfants, on les éloigne de lui, un état on l'en prive ;
 il est retranché des hautes classes de la société et honni par le peuple. Il
 est en vérité une espèce de bouc émissaire (Whipping Boy, petit garçon
 fouetté) auquel on applique les châtiments dus à tous les autres coupa-
 bles. Nous nous mirons avec complaisance dans nos rigueurs, et nous
 comparons avec orgueil le superbe étendard de la morale déployé sur
 l'Angleterre avec le relâchement des mœurs parisiennes. Enfin notre colère
 est assouvie. Notre victime est perdue et blessée au cœur. Et notre vertu
 va tranquillement dormir sept années de plus.
     Lord Byron fut sacrifié plus cruellement encore. On lui appliqua une
justice à rebours. D'abord on exécuta, puis ou fit des recherches, puis, à
 la fin, ou plutôt jamais il n'y eut d'accusation. Le public, sans rien
 connaître de ses affaires de famille, entra en un violent courroux contre lui,
 et s'occupa d'inventer des faits qui pussent justifier sa colère. Vingt
 contes différents de séparation, incompatibles entre eux et avec le bon
 sens circulèrent en même temps. Quelle importance pouvaient-ils avoir ? Le
vertueux peuple qui les répétait ne le sut jamais et ne s'en inquiéta point.
Dans le fait ces récits n'étaient point les causes mais les effets de l'indi-
gnation publique. Ils ressemblaient à ces odieuses calomnies que Louis
 Goldsmith et autres libellistes abjects de la même famille avaient coutume de
répandre sur Bonaparte : tel que l'empoisonnement d'une jeune fille pen-
dant son séjour à l'Ecole militaire, le grenadier payé pour tuer Desaix à
Marengo, et Sainl-Cloud rempli de toutes les souillures de Capréc. C'était
le temps où de telles anecdotes obtenaient quelque foi de personnes qui
haïssant l'empereur des Français sans raison, étaient promptes à croire
tout ce qui pouvait justifier leur haine. Lord Byron eut le même sort. Ses
compatriotes étaient de mauvaise humeur contre lui. Ses ouvrages et son ca-
ractère avaient perdu le charme de la nouveauté. Il était coupable de l'of-
fense qui, de toutes, est punie le plus sévèrement ; il avait été trop loué ;
il avait excité un trop vif intérêt ; et le public, avec sa justice habituelle,
le châtiait pour sa propre folie. Les attachements de la multitude ressem-
blent beaucoup à ceux de celle lascive enchanteresse, qui, lorsque les
quarante jours de son fol amour furent écoulés, ne se contenla pas de ren-
voyer ses amants, mais les condamna à expier sous d'odieuses formes et
par de cruels supplices le crime d'avoir trop su lui plaire.
    La honte que Byron eut à supporter fut telle qu'elle aurait brisé les
cœurs les plus forts. Les journaux étaient remplis de pamphlets. Les théâ-
tres s'ébranlaient sous les huées. Il fut exclu des cercles où naguère il était
le point de mire de tous les observateurs. Tous les êtres rampants qui
combattent pour la perte des plus nobles natures se précipitèrent sur leur
proie; et c'était justice ; ils agissaient d'après leur instinct.