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434                    LETTRES BADOISES.

répondit Vivier avec un sang-froid superbe ; nous avons
donné la liberté 5 l'oiseau, qui s'est mis de suite à chanter
admirablement el à volliger d'arbre en arbre ; un corbeau
lui a fait peur, alors nous l'avons rappelé. Les oiseaux sont
comme les hommes, mon cher comte, ils n'ont d'esprit qu'au
sein de la nature ».
   Je n'en finirais pas, si je voulais raconter toutes les plai-
santeries de mon facétieux compagnon. Il lançait, l'autre
jour, de sa fenêlre, de magnifiques bulles de savon ; ces
globes, remplis de la fumée de cigarre, montaient dans le
ciel embrasé par ce qu'on nomme ici l'aurore du soir; sur
leur surface se reflétaient, comme dans un miroir, les bois et
les montagnes, la terre et le ciel, les couleurs et la lumière,
l'émeraude, le bistre, l'azur et la pourpre orangée. Tandis
que ces sphères artificielles, montaient, montaient toujours,
il nous plaisait de trouver dans cette boule, miroitant micros-
côme, œuvre de notre faculté inventive et volontaire, qui
emportait avec elle tous les reflets de la nature, l'image de
la philosophie allemande, tendant, elle aussi, vers les hau-
teurs « du bleu » quoique toute empreignée de naturalisme,
perdant assez ordinairement sa netleté à mesure qu'elle
s'élève, et finissant souvent par s'évaporer toul-à-fail dans
les espaces; et pourtant une merveille !
   Certes, je ne veux pas médire de la philosophie allemande,
el il est impossible sans être injuste, dés qu'il est question
de l'Allemagne, d'omettre cette faculté de méditation que
possède toute tête germanique. C'est une terre puissante, la
patrie de Leibnilz, de Kant, de Fichle, de Schelling et de
Hegel. Je vous ai dit, tout en riant, quelques mots de la
poésie et de la musique allemande; ces deux termes en
attiraient un troisième, celui de: science; car, â eux trois,
ils forment les cercles de la triple idéalité, couronne glo-
rieuse qui décore le front de l'Allemagne.