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LETTRES BADOISES. 427 de rencontrer des fantômes auxquels on ne songe guère en se promenant aux Champs-Elysées. Une fois c'était une ballade bien lugubre, telle qu'Uhland et Immermann en ont rimé : « Le château ruiné résiste comme il peut à la tourmente. Le vieux chevalier gravit la forêt au travers des éclairs, son cheval noir frémit et se cabre, devant eux s'ouvre la poterne. Elle, se tient pâle et désolée dans la grande salle déserte qu'éclaire la flamme du foyer. Le vieux chevalier la prend sur ses genoux bardés de fer; il la caresse amoureusement, comme un petit enfant, la berce, et tendrement la console. Mais elle pleure, et ses sanglots briseraient le cœur, tout cœur qui ne se serait pas glacé dans sa tombe. « Vieillard, qu'as-tu fait de mon amour, de Ion fils, son sang pourpre, son sang chéri tache encore ta barbe blanche ? » Et malgré la tempête qui brisait les sapins, et les éclats de la foudre qui tombait à l'enlour, on eût entendu, bien loin, les gémis- sements, les malédictions, les hurlements des deux spectres. » Une autre fois, c'était un rêve plus gracieux ; par exemple, la fresque de Gotzenberger, sur les murs de la Ttinkhall, qui s'animait : le chasseur de chamois parvenait, de roc en roc, jusqu'à la région des neiges éternelles. Je le regardais faire, en retenant mon souffle, comme à l'ascension d'un danseur de cordes. J'aurais voulu l'avertir des niches malicieuses que lui préparaient les Kobolds, sortant comme des lézards, par les fentes des rochers, avec leurs bonnets pointus et leurs petites mines grotesques. Chut! le jeune téméraire est arrivé \ la hauteur du glacier, d'où s'élance dans l'abîme la cascade, froide et claire. Que vois-je dans l'éloignement? De l'autre côté du précipice sans fond, n'est-ce pas le chamois blanc, la merveille des récils de chasseurs, qui broute, au pied du glacier, les violettes des Alpes? C'est le cas de dire comme les dames, dans la chasse de Vivier : « pauvre bêle ! » Le