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426                     LETTRES BADOISES.

 peur aveugle, puis qu'elle fait prendre des nains pacifiques
 pour des géants conspirateurs. Bref, ces braves Lilliputiens ont
 émigré en masse; peu s'en est fallu que le peuple allemand,
 fort pressuré aussi, ne suivît leur exemple. Où sont-ils à
l'heure qu'il est? Peut-être en Australie ou dans les placers
du Sacramento, exerçant, là où il n'y a pas encore de tyrans,
leur industrie métallurgique.
    A la cîme des montagnes, au pied des ruines, croît une
plante rare chez nous; sa fleur a un port chevaleresque; elle
ressemble au lis Saint-Jacques; elle est d'un blanc pâle
comme tout ce qui s'évanouit, mêlé d'un rouge sanglant et
guerrier. II faut la cueillir, au clair de lune, comme le gui
sacré ; on ne voit pas alors si elle est flétrie, et elle exhale le
parfum mélancolique des souvenirs.
   Je veux parler de la légende : on en a usé et abusé en
Allemagne; l'école romantique, qui ici, au contraire de la
nôtre, voulut ramener les esprits et les corps vers un passé
vermoulu, s'en est servi comme d'un narcotique mortel
au progrès; sous les traits d'une vieille femme, herboriste
perfide, une façon de Locuste allemande, les Schlegel
et autres en ont fait boire tant d'infusions au pauvre Hans,
que celui-ci en a pris le dégoût au cœur. Pour nous,
Français, qui portons du vif argent dans les veines, et pourrions
nous gorger d'opium, sans en être plus engourdis, nous
irons, malgré les chauve-souris et les spectres gothiques,
cueillir la douce fleur, à l'entrée des souterrains ténébreux.
Si les fantasmagories du passé osaient montrer leurs faces
de boucs et de laides gargouilles, nous les saisirions brave-
ment par les cornes: « relrô, Salanas, in nomine lucis », il
suffirait d'ailleurs de tracer dans l'air deux chiffres magiques,
un 8 et un 9, pour les voir disparaître avec une forte odeur
de soufre et des imprécations horribles.
   Je dois avouer que, dans mes excursions, il m'est arrivé