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VISITE A SANT' ONOFIUO. 119 montra, vers l'extrémité du corridor, une fresque de Léonard de Vinci, représentant une madone ; puis, la grande salle du chapitre où sont les portraits des chefs de l'ordre; je me fis désigner celui du Prieur qui gouvernait le couvent à la mort du Tasse. Le vieux chêne au pied duquel le chantre de la chevalerie venait s'asseoir est encore vivant et debout, quoiqu'on ait généralement accrédité le bruit de sa mort, et il a survécu au coup de foudre dont on l'avait cru renversé. C'est un des colosses de la végétation en Europe ; tourné vers Rome qu'il domine, il s'élève sur la pente d'un monticule ; le côté de l'arbre qui regarde la ville et celui sous lequel le Tasse pouvait se reposer, est frais, vigoureux encore et couvert de larges rameaux dont les feuilles s'épanouissaient alors à la chaleur des premiers rayons d'avril. Mais l'autre partie adossée au monticule et qui fut foudroyée, demeure brûlée. Le respect des religieux l'a cependant laissée intacte, pas une branche n'y manque, quoique le reste de l'arbre puisse en souffrir. Moitié vivant, moitié mort, colossal, vénérable, planant sur deux civilisations à la fois, le monde païen et le monde ca- tholique , sur le château Saint-Ange, la tour de Néron , les obélisques d'Egypte, les colonnes des empereurs, les dômes d'églises, les clochers et les croix debout, les arcs de triomphe, le Capitole, les ruines amoncelées, les soli- tudes silencieuses de la campagne romaine, jusqu'aux soli- tudes infinies de l'Océan*, ses vieilles racines perçant la terre ou voilées a demi d'un fin gazon parsemé de petites marguerites rosées, tel est le chêne qu'on désigne sous le nom d'arbre du Tasse. C'est encore un lieu dont on se sou vient et d'où l'on ne peut s'arracher ! l'âme voudrait y méditer éternellement. Je joignis a mon bouquet de la chambre de Torquato quelques fragments de l'écorce foudroyée de son vieux chêne.