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LE MOÃŽNÃ-CASSIN. 77 vainement on interrogera le contour de ces lèvres qu'une barbe épaisse recouvre. Tout dans cette tête cache un sombre et puissant mys- tère, une individualité indéfinissable, si l'on ne savait, par la révélation, qu'elle a vu Dieu face à face, et que, témoin de la dureté, de l'ingratitude de son peuple, elle se renferme dans un éternel silence, en attendant le réveil des généra- tions que son regard pénétrant voit surgir de la poussière des siècles à venir. Si, laissant de côté les sentiments si divers qui ont pré- sidé à la création de ces deux chefs-d'Å“uvre, j'aborde la question purement de forme, je serai forcé de dire que j'ac- corde, comme exécution plastique, une supériorité incon- testable à l'artiste grec. La seule attitude de l'Apollon pré- sente des difficultés presque invincibles et que le sculpteur a su éviter avec un bonheur digne du plus grand éloge. Ce corps souple, noble d'allures, si bien dégagé dans sa mar- che, doit placer dans le cÅ“ur de tout artiste moderne qui voudrait exécuter une création analogue le désespoir de ne pouvoir atteindre cet idéal. Est-ce a dire pour cela qu'il ne faille pas admirer le Moïse du grand Buonarotti ? Dieu m'en garde ! En effet, si devant l'Apollon vous jouissez de cette har- diesse, de cette simplicité d'exécution sans égale, si vous vous dites voila l'homme tel qu'il dut exister sous le beau ciel de la Grèce, avec ses allures de liberté et d'indépen- dance, a la vue du législateur des Hébreux, vos idées, vos sentiments s'élèvent dans les régions sereines, immuables de l'éternité; Moïse n'est plus un simple mortel, mais l'in- terprète, l'envoyé du Dieu du Sinaï, et, dans ce saisisse- ment esthétique qui s'empare de votre âme, vous croyez en- tendre cette première et sublime parole du premier des livres : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.