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 que des bouches de canon se montrent à toutes les embrasures,
 que des milliers de fusils brillent au soleil, que de larges fossés
 ouvrent leurs béantes gueules pour dévorer les restes de cent
 vies, morcellées déjà par les balles et la mitraille ; les palissa-
 des, les chemins couverts, vous ne les voyez pas encore, non
plus que les fossés; vous les pressentez pourtant, et vous êtes
 mathématiquement certain de les trouver sur votre passage* La
 théorie, l'école d'application, puis la pratique, vous ont familia-
risé avec la forme intérieure, extérieure du rempart. Fussiez-
vous aveugle, vous arriveriez droit à la gorge, en comptant les
pas, sans vous égarer, sans trébucher peut-être. Cette redoute
vous ne l'avez jamais vue , mais vous la savez par cœur, comme
votre dortoir du collège, comme votre chambre à l'école ; il en
est de même de tout ouvrage de défense que l'on peut trouver en
plaine ; les lignes eu sont droites, et elles ne peuvent être autre-
ment. Aucune forme étrangère ne vous distrait de votre certitude
de vaincre. Alors vous, commandant en chef, vous comptez de
tête : tant de force d'attaque., tant de résistance de la part de
l'ennemi; a;, le temps qu'il vous faudra pour arriver à l'épaulement
parla brèche : et l'équation est posée; maintenant selon le genre
d'hommes auxquels vous avez à faire, vous mettez au résultat
cinq minutes, une heure, un jour, un mois peut-être, et le cal-
cul se trouve juste. Voilà ce que pensaient ces pauvres moines,
et voilà ce qu'ils se disaient encore : « Le Val-Croissant n'est pas
une plaine, et l'on n'y entrera que si nous le voulons bien ; car
nous avons la clé en poche, et la montagne est inaccessible. »
Glandas est en effet quelque peu plus élevé que Montmartre et
même que Fourvières. Glandas regarde à six mille pieds plus
haut que le couvent, Glandas est à pic, Glandas étale sur ses
larges épaules un blanc manteau de neige qu'il n'a pas ôté une
fois dans sa vie, même pour regarder les belles figues qui mû-
rissent contre les murs de l'abbaye ; ^et puis Glandas avance
deux grands bras dans le Diais. Ces deux grands bras qui sont
des rochers abruptes, renferment les bois et les prés du Val-
Croissant. Le couvent, comme un enfant chéri, couché dans
son lit de verdure, regarde d'en-bas, face à face, le ciel auquel '
il est consacré. De là il n'a pas peur que des bêtes malfaisantes
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