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  Religion, moi qui suis dans la carrière de la finance. Comme ce
  n'est point la passion de la fortune qui m'y a conduit, j'y con-
 serve loujours m a première passion pour la poésie, mon ancienne
 maîtresse. J'ai peu de temps à lui donner. Il faut que je me dé-
 robe à des occupations fatigantes et continuelles, pour goûter
 avec elle quelques momens agréables, mais très-courts, et dont
 je dois même faire un très-grand mystère , parce qu'on pourrait
 m'en faire un très-grand crime. Ce sont peut-être toutes ces diffi-
 cultés qui rendent ma passion pour elle plus constante et plus
 vive.
    « Le poème dont M. Brossette vous a rendu compte est sur un
 sujet qui ne m'attirera pas la foule des lecteurs. Je dois prendre
 pour ma devise ces mots d'Horace : conlentus paucis lecloribus. Ce
 serait un lecteur tel que vous qu'il faudrait m é r i t e r , pour avoir
 lieu d'être parfaitement content.
    « Je suis , monsieur , etc. » (1)
    Au sujet de cette lettre , Rousseau écrivait à Brossette, du châ-
 teau d'Heverle, le 28 octobre 1731 :
    « On m'a envoyé de Bruxelles la lettre que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'écrire, du 12 de ce mois , en m'envoyant celle dont
M. Racine a bien voulu m'honorer, et dont vous trouverez ici la ré-
p o n s e , que je vous supplie de vouloir bien lui faire remettre.
Quoique j'eusse déjà vu , pour ainsi d i r e , dans ses vers sur la
Grâce, l'échantillon de ceux qu'il a faits sur la Religion , j'ai été
bien aise d'en pouvoir juger précisément, sur les morceaux que
vous avez pris la peine de me transcrire. Ils sont parfaitement
beaux et dignes de leurs aînés. J e ne puis vous cacher, néan-
moins , que j'y ai été choqué de la rime de canaux avec rameaux,
et de celle de merveilleux avec industrieux, que je vous prie de lui
faire observer comme de vous-même , sans lui dire que la critique
vient de moi. Ces mots ne riment absolument p o i n t , et on les
passera encore moins dans un bon ouvrage, que dans un ou-
vrage médiocre. Ce serait d o m m a g e , qu'ayant été aussi exact et
aussi pur dans son premier p o è m e , il ne soutînt pas dans le
second cette exactitude, à laquelle tous nos grands poètes ont
toujours été scrupuleusement attachés. La rime est aussi essen-
  (2) Lettres de Rousseau, tom. III, pag. 195.