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  un arbre avant qu'il ait poussé. N o n , . , laissez le génie se livrer
  à la fougue qui l'entraîne ; laissez-le délirer même , pourvu que
 ce délire enfante des beautés ; plus tard vous rejetterez ce qui
  choque ; le temps et le bon goût feront disparaître les t a c h e s ,
 mais ne tuez pas le génie à sa naissance ! — Ils n'en ont point.
 —. Malheureux! ils n'en ont point!.. Et rappelez-vous donc
 Géricault, l'auteur du Naufrage de la Méduse; l'avez-vous criti-
 q u é ! Son tableau n'était pas de votre école... Et pourtant quelle
 énergie! quelle vérité! quelle expression dans ses figures ! que
 de poésie dans l'ensemble! Mais il avait négligé le dessin, ce
 froid dessin ;, toute votre science, et vous l'avez accablé! il a caché
 son ouvrage dans un coin obscur ; vous l'avez humilié, abreuvé
d'amertume ; vous lui avez arraché ses pinceaux; ses camarades
lui ont donné du pain , et quand il n'a plus eu la force de s u p -
porter tant de dégoûts^ il est mort de rage, de misère et defaim...
Oui, il est mort de faim, entendez-vous! Il avait le tort de de-
vancer son époqiie... Dix ans plus tard ^ on a tiré de la poussière
le tableau du malheureux ; on ne trouvait pas de place assez belle
pour lui, et la foule est venue s'extasier devant ; elle est venue
cette tourbe qui crie quand les meneurs crient, qui admire
quand les meneurs admirent et qui laisse mourir de faim ceux à
qui ils refusent du secours... bourreau qui exécute ceux que vous
avez condamnés!...
   Et il s'enfuit, le jeune h o m m e , et il resta deux jours en proie
à la plus vive douleur, plongé dans le plus profond accablement,
maudissant Paris, la littérature, l'instruction qu'on lui a donnée,
et le génie que dans ce moment de fièvre il sentait bouillonner
dans sa tête.
   Le libraire lui réclame des articles ; il n'avait plus la force de
pousser la porte d'un cabinet de rédaction ; cependant il avait un
engagement à remplir ; il errait dans P a r i s , sans b u t , au hasard,
accablé par une i d é e , une seule , mais poignante., son obscurité.
Il marchait sans voir, et encore sourd-muet au milieu d'un grand
bruit qui ne l'étonnait pas et de beautés sur lesquelles il ne trou-
vait pas une expression. Cette vie-là, c'est la m o r t ! . . La mort,
moins la terre qui doit vous couvrir... On est soi-même la croix
qui vous indique.