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466 viennent l'arracher à sa contemplation, car les côtés de son berceau sont inabordables. On voit bien quelquefois courir sur ces hauteurs quelques aigles qui chassent, quelques chamois qui caracolent; mais c'est tout, et pour franchement parler, ces endroits sauvages sont beaucoup moins connus que le reste du pays ; car les nuages s'y reposent et les voilent pendant presque toute l'année. Il n'y a au désert qu'une seule entrée , mince longue et étroite, entre deux grosses montagnes qui la serrent et l'étoufFent. Cette entrée scabreuse est fermée par les eaux mugissantes d'un tor- rent, et défendue en outre par une porte fortifiée, où deux hommes font attendre, s'ils le veulent, un régiment entier pen- dant six mois. Les bénédictins dans cette occurrence péchèrent donc par or- gueil. Ils se fièrent aux nombreux domestiques du couvent qu'ils croyaient capables de repousser une attaque. Ils se fièrent aux Diois qui ne manqueraient pas de leur envoyer de prompts secours ou de faire une diversion en leur faveur. Ils se lièrent à l'air re- doutable et à la force prodigieuse de la tour crénelée qui dé- fendaitlepassage. Ils se fièrent aussi en Dieu, les pauvres moines, et en leur bonne cause. Le messager fut donc battu et renvoyé à jeun; l'âne eut la queue et les oreilles coupées, puis on le chassa à coups de pierres. Mais les bénédictins avaient mal placé leur confiance. Dieu pour les éprouver sans doute, jugea à propos de les aban- donner. Les Diois qni en avaient assez pour leur compte de lutter en reculant devant le baron, n'envoyèrent point de secours. Une dixaine de soldats força la porte du défilé; les valets plus habitués au goupillon qu'à l'escopette se sauvèrent à toutes jambes, et le couvent fut emblé en un tour de main. C'était le soir. Les religieux banquetaient dans leur splendide réfectoire , dont la grande fenêtre ogive percée au midi teignait de ses vi- traux de couleur les rayons de la lune sur le plancher. Le béné- dicité à peine dit, tous s'attablèrent autour d'un appétissant quar- tier de chamois ; seulement le prieur à une table plus élevée se versait un verre de vin blanc, tout en réfléchissant avec de gros soupirs à une inscription romane en beaux caractères on-