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l'accroître par de riches alliances. Il y a parmi eux un instinct
prodigieux pour flairer une héritière. Quelque soit l'obscurité de
son nom, la vulgarité de sa famille, que la fortune y soit venue
de Dieu ou du diable, peu i m p o r t e ! Ne donnent-ils pas à leur
compagne, en la transportant à Bellecour, un éclatant baptême ?
Qui s'informera d'où elle vient quand elle paraîtra sous la sauve-
garde de leur nom? Aussi de temps à autre entend-on annoncer
de ces mariages qui désarçonnent toutes les prévisions. Il se fait
de ces fusions de noms sur lesquels la malignité a toute prise.
On conçoit aisément que cette portion de Bellecour, n'ayant
ni passion politique, ni croyance religieuse, ne portant pas ce
joug de principes et de conscience qui pèse sur tous les momens
de la vie, la règle, la divise et symétrise les devoirs comme les
plaisirs , recherche avec avidité tout ce qui peut remplir son
oisiveté ; aussi un roman nouveau de Sand ou de Balzac est-il
dévoré en quelques heures? Finalement le plus pressé, le travail
de chaque minute , c'est de donner quelque saveur à la vie. On
court à une pièce nouvelle , à un concert, à tout ce qui est autre
chose que ce qu'on a déjà fait. On s'occupe d'art par passe-
t e m p s , par vanité ; on achète des tableaux, des instrumens ; on
fait de la musique; on ne manque pas un bal, depuis le bas-
tringue du Grand-Théâtre jusqu'au bal le plus hupé. On veut
tenir à tout ; à force de mouvement peut-être échappera-t-on au
vide de soi-même.
Vous voyez par là que nous touchons de bien près à la bour-
geoisie. L'ennui est effectivement le point d'affinité entre la no-
blesse mondaine de Bellecour et la roture oisive du haut com-
merce ou de la propriété , et nous servira de transition pour
arriver de l'une à l'autre. Ce sera l'objet d'un second article.
Lyon, le 18 avril 1855.
T H . DE S.