Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                         310
 tnut on voit avec transport la bonne tète du gendarme. Quelle merveilleuse bê-
tise sur le visage de ce bon gendarme ! C'est Odry à l'âge de vingt ans, Odry qui vient
de naître à la sottise pour mourir dans ses bras à cinquante ans de là. Le gendarme
a reçu l'ordre de M. le maire , d'empêcher les enfans de se baigner dans larivière,
le gendarme exécute ces ordres, et il enlève les habits des délinquans. Mais on
voit que ce gendarme porte un cœur sensible et qu'il emporte à regret ces petits
habits. En même temps , voyez comme il est entouré , supplié , prié tout haut,
hué tout bas ! Cependant le ciel est pur, l'air est limpide, le soleil est chaud ;
vous verrez tout-à-l'heure que le féroce gendarme se laissera attendrir et qu'il
rendra leurs habits à ces pauvres enfans, en leur disant dans son patois : N'y retour-
 nez pas ?
     Et ces enfans de reprendre leurs habits et de s'enfuir à toutes jambes , en se
 moquant du gendarme : — Ohé , gendarme, ohé !
     L'autre petit tableau de M. Biard approche beaucoup de la charge , mais qu'im-
 porte? Cela est si amusant, une charge bien faite! Donc, dans une boutique de
 barbier, un barbier donne une leçon de barbe à son élève. Le maître est assis de-
vant une tête de bois fort élégamment savonnée, et son rasoir à la main, il indique
 à son disciple la manière de se servir du rasoir. Le disciple , cependant, tient sous
 sa main une véritable tête humaine , un homme en chair et en os et à barbe. Or,
 sur cette tête vivante l'élève exécute toutes les évolutions exécutées par le maître
 barbier sur la tête de bois. C'est une scène d'un grotesque achevé. La tête vivante ,
  comme vous pouvez croire, fait une horrible grimace , qui contraste parfaitement
  avec le merveilleux sang-froid de la tête de bois. L'importance du maître est ex-
  trême, et l'attention de l'apprenti promet pour la suite un excellent barbier. Ce
  petit tableau doit réussir, surtout parce qu'il sera le pendant obligé du bon gen-
  darme de M. Biard. A présent, pour que ces deux petits tableaux soient populaires,
  il ne manque plus qu'un bon graveur. Mais aujourd'hui, horsMercuri, Calametta
  et Provost, où est le bon graveur qui consente à faire de la nature ? Henriquel-
  Bupont fait du pastel, et Giïaud fait de la peinture. Et nous, nous sommes sou-
  vent étonnés que certains arts, chez certaines nations, se soient loul-à-fait per-
  dus aux temps jadis!
     Ce M. Biard , à qui on peut faire de grands reproches, par exemple , un des-
  sin trop arrêté, une couleur tourmentée, trop de recherche dans sa manière de
  grouperet de poser ses personnages, est à coup sûr, une imagination merveilleuse,
  et un esprit souple et indépendant. Depuis, tantôt trois ans qu'on a remarqué
  M. Biard, onl'avu toujours passer avec la plus extraordinaire facilité d'un sujetà un
  autre jsujet. Ainsi, la barbe fraîche encore et à peine sorti des mains de son bar-
  bier, voilà M. Biard qui accourt en croupe derrière le cheval de son gendarme , et
  pourquoi faire ? pour représenter dans une grande toile une vente de nègres,
  pauvre marchandise humaine qui n'attend qu'un acheteur. Ils sont là tous, étalés
  sur le sable, attendant un maître , les uns malades , les autres mourans , celui-ci
  tout-à-fait mort. Les amateurs arrivent, qui les palpent, qui les touchent, qui les
  examinent, qui les retournent dans tous les sens. Le peintre est entré dans les
  plus tristes et dans les plus minutieux détails de cette vente ; on dirait qu'il a été
  chercher tous ces détails à Poissy, un jour de marché. Pour notre part, nous
  préférons à ce tableau les deux petits , du même auteur , tout en reconnaissant
  à ce tableau lui - même beaucoup de mérite ; mais dans cette toile , rien ne se
  tient, les personnages vont çà et là , sans être réunis les uns les autres par ce
  lien invisible , par ce rayon d'en haut, du ciel de la peinture , comme de la poésie,
  qui fait l'unité dans les arts. Chacun va de son côté comme il peut, chacun souf-
 fre de son côté comme il veut; et puis, même dans la description de cette horri-
  ble scène des hommes qui achètent des hommes ; il y a je ne sais quoi de lar-
  moyant et de recherché , qui rappelle tout-â-fait les romans du temps de M. Mar-
  montel. — Toi, bon blanc, bon maître â moi, bon nègreù toi.
     Ayez autant d'esprit que vous voulez dans vos tableaux; mais en peinture,
  comme en poésie , méfiez-vous de l'excessive philantropie ; elle est souvent très-
  voisine du ridicule.                    (L'ARTISTE, IX volume , page 76. )