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              Si le ciel en mon choix eut mis ma destinée,
              Je n'irais point courir de bureaux en bureaux,
              Vérifiant journaux, bordereaux, comptereaux.
Je n'irais pas non p l u s , comme je fais depuis dix a n s , de p r o -
vince en province. E t , quoique je sois maintenant très-heureux
d'êlre à L y o n , où je trouve beaucoup d'agrément et une aimable
société , j'aimerais mieux encore être dans le sein de ma p a t r i e ,
uniquement occupé des lettres. Voici, monsieur, puisque vous
désirez l'apprendre , la raison qui m'en a arraché.
    « Quoique la médiocre succession de mon p è r e , partagée entre
plusieurs enfans, eût essuyé dans la suite l'orage de fameux sys-
tème , heureux pour quelques personnes et fatal à tant d'autres ;
au lieu de songer à réparer ses m a l h e u r s , je ne songeais qu'à
cultiver les Muses , et je regardais comme ma forlune une place
à l'Académie française, à laquelle les anciens amis de mon père
étaient résolus de me nommer. M. l'ancien évêque de Fréjus , qui
le s u t , me demanda, et m'ayant parlé avec bonté , me représenta
que je perdais mon t e m p s , et que je ferais bien mieux de songer
à avoir de quoi vivre ; qu'enfin il me procurerait une place plus
utile qu'une place d'académicien, à laquelle, pour le p r é s e n t ,
je ferais sagement de renoncer. M. de Yalincour me conseilla de
m'abandonner à mon protecteur , q u i , en effet, parla pour moi
à M. Fagon ; et au lieu d'être nommé à l'Académie , je fus nommé
inspecteur des fermes, et depuis directeur. Ainsi, vous voyez que
j« ne suis qu'un financier subalterne.
   « Mais j ' a i , comme vous le voyez, de grandes espérances. Puis-
que mon protecteur, aujourd'hui M. le cardinal de Fleury, a d e -
puis si bien fait son chemin, j'ai lieu de croire qu'il me fera faire
le mien. Il continue toujours à m'assurer de sa bienveillance , et
il paraît s'intéresser à moi (1). »
   Racine composa donc à Lyon son poème de la Religion , le 6
septembre 1731. Brossette, en écrivant à Rousseau, lui disait:
 « Je ne sais si je vous ai mandé que M. Racine le fils, auteur du
poème de la Grâce, est établi à Lyon. J'appelle établissement,
un mariage avantageux qu'il y a fait, et la direction des gabelles,
à laquelle il a été n o m m é . Il vient d'achever un poème sur la

  (1) Lettres de Rousseau , tom. HT, pag. 205—9.
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