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    Le sommet de Bellecour est occupé par un certain nombre de
 familles anciennes, quoique d'origine commerciale. Quelques-
 unes se font un litre de compter des échevins ou des consuls
 parmi leurs aïeux. Il y a de grosses fortunes dans ces familles ;
 fortunes laborieusement acquises, reposant sur de solides et
 bonnes propriétés, et s'accumulant par la simplicité et l'écono-
 mie des habitudes. Chaque année une bonne portion du revenu
 vient grossir le capital et empêche que celui-ci ne diminue ou
 ne tarisse par les subdivisions de l'héritage. Ces familles pour
 la plupart offrent un modèle de vie domestique : la pureté des
 mœurs, l'intimité des affections, le respect des liens de famille,
 la bonne foi poussée jusqu'au scrupule, fleurissent sur ce sol
 comme des plantes pour nous exotiques. C'est un monde qui se
 tient à part, et qui, vivant les cinq sixièmes de l'année à la
campagne, ne se mêlant à la ville que depuis Noël jusqu'à Pâ-
ques, et ne se mêlant encore qu'à des gens de sa condition, de
son espèce, peut Conserver ainsi à peu près intactes ses croyan-
ces et ses traditions; et pour lui, l'idéal et le positif se résu-
ment en ces deux mots : ses sentimens sont des croyances , ses
habitudes des traditions; point de doute, point de lutte, point
d'ennui, point de déceptions; la règle et l'obéissance disposent
de son existence. L'instruction y est bornée, l'intelligence ne s'y
exerce que dans des limites étroites et soigneusement gardées;
si l'on pense peu, l'on sent mieux ou du moins avec peu de se-
cousses. La vie est calme et mesurée , parce que le sentiment
catholique se maintient là profond et sincère, peut-être même
rigide et bigot, et qu'il écrase et domine la volonté.
   A cette branche de Bellecour se lie par là dévotion une variété
d'espèce, dont la plus grande partie est enchaînée constamment
à la ville, parce qu'elle a encore un pied dans les affaires. Cette
nature de gens ressemble tout-à-faità une congrégation, et touche
à presque tous les étages de la société par la condition de Ses
membres. L'église est leur élément, la sacristie leur lieu de
rendez-vous, leur physionomie a une couleur de cierge, leurs
habits vous rappellent un poêle, leur expression est triste, hu-
mide comme la nef, leurs yeux couverts comme des vitraux. Ils
glissent dans les rues, vêtus de noir, le regard baissé ; ce sont