Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                           135
   esprits ordinaires; ils détruisent cette touchante compassion qui rapproche le
   vainqueur du vaincu, qui ôte à la victoire ce qu'elle a de poignant et fait taire ces
   passions acerbes, sans cesse aux prises, dévoilant des turpitudes de toutes les sor-
   tes. Les succès n'eurent point ce funeste empire sur l'anie ardente de Bourgelat.
   Il va en donner une preuve remarquable.
      Un jour il gagne une cause: il l'avait soutenue, vivement convaincu qu'il avait
  pour lui les droits de l'équité; mais bientôt il acquiert la certitude qu'il a été
  trompé, il rougit de son erreur et poussé par un généreux sentiment, il vole au
  parlement assemblé,,il sollicite l'annulation de l'arrêt. En vain il prie, en vain il
  met eu jeu toutes les ressources que lui inspire une sainte indignation , les juges
  sont sourds: ce qu'ils ont décidé est l'expression de leur conscience, «la chose
  est jugée, elle estdésormais irrévocable.» Il ne s'avoue pas encore vaincu, il voit
 les membres du parlement en particulier, il veut leur épargner de tardifs regrets:
 inutile; dans l'intimité du coin du feu, comme dans la cbaise[curule,ils se refusent
 à l'évidence, «lachose est jugée, elle est désormais irrévocable. » A cesmots, Bour-
 gelat demeure comme altéré, il revient encore à la charge, il demande à se faire
 entendre, on lui impose silence ; il n'y tient plus, et d'une main hardie , il dé-
 chire sa robe , il foule aux pieds sa toge, témoins et complices d'un acte qu'il dé-
 clare infâme; il va lui-même rayer son nom du tableau des avocats, et de retour
 chez lui, il livre aux flammes tous ses plaidoyers.
     Cette leçon fut amère, elle porta coup. La sentence fut revisée, mais Bourgelat
 ne voulut plus subir de semblables épreuves, il persista dans sa résolution et quitta
 de suite Grenoble. Depuis lors, il ne pouvait entendre ni prononcer les mots de
procès, de sentence, sans éprouver un frémissement général.
    Un semblable événement opéra dans toutes ses facultés un changement notable.
Jusque-là, d'un caractère liant, de mœurs douces, d'un laisser-aller qui plaisait,
 il devint tout-à-coup triste, rêveur et même soupçonneux. Quoique entouré de
ses amis d'enfance, il évita désormais toutes les réunions, même celles où , sans
licence comme sans contrainte , chacun apporte le tribut de sa gailé, de son ima-
gination, de ses connaissances. Il vivait tout en lui, cherchant le moyen de don-
ner à son esprit une direction nouvelle..
    Bans sa jeunesse, il avait aimé passionnément les chevaux: ce goût se réveille
 avec force et le décide à entrer dans un régiment de cavalerie. Ses études se por-
 tent tout entières sur le cheval ; il lit les nombreux traités imprimés sur ce bel
 animal; ceux de Ruiniet de Winter le frappent particulièrement, mais aucun ne
fixe plus son attention que lesécrits de JacquesSoleysel,et ce qu'il entreprit pour
fonder une école, combattre les préjugés et placer l'étude vétérinaire sur la
route des sciences. Il entrevoit la possibilité de faire plus, de faire mieux encore.
II se livre à l'examen critique des faits observés par les anciens, depuis Xéno-
phon jusqu'à Végéce ; il remonte à l'origine des erreurs grossières , des absurdi-
tés de tous les genres enfantées par les empiriques, durant les longs siècles du