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234 LE BOUQUET FATAL. dernier avait requis les services, ramenaient chez lui l'infortuné combattant. S'il n'était pas mort, il n'en valait guère mieux : il avait payé le cruel tribut de son inexpérience aux armes, et après quelques passes, reçu en plein poumon le fer du beau de Larnac. On le hissa jusque chez lui et on retendit sur le lit d'a- gonie qu'il ne devait plus quitter que pour aller s'unir à Solange dans les noces d'outre-tombe. Il vécut encore vingt-quatre heures. Pendant celles qui précé- dèrent son dernier soupir, il recouvra toute la lucidité et tout l'élan de sa grande et rare intelligence. Envisageant avec une sérénité radieuse les horizons prochains de la vie future, il trans- porta jusqu'aux larmes ses amis, qui crurent assister à une scène du Phédon, mais d'un Phédon chrétien, car Remy était de ceux que les croyances premières ressaisissent tout entier au seuil de l'éternité, malgré les éclipses de la foi et les caprices de la pensée. Aussi, ne voulut-il point sortir de ce monde sans em- porter sur son front et sur ses lèvres le sceau mystique de la foi de ses pères. Le prêtre qui le lui imprima fut un vénérable oratorien, son compatriote et son ami. Sur le point de rendre l'âme, dans la pénombre discrète de son chevet, il serra plus fort la main de Madame de Vallouise qui lui rendit cette étreinte avec un désespoir muet. Elle était debout auprès de lui, dans la morne et sculpturale attitude de la Niobé antique pleurant la ruine de ses tendresses maternelles. Elle approcha son oreille de sa bouche, et Dieu seul sait les effusions mystérieuses et solennelles qui furent échangées dans ce suprême entretien. Un mot cependant fut entendu de ceux qui étaient là . Ce mot, ou plutôt ce murmure, était exhalé par le moribond. — Je vous recommande mon autre mère, disait-il ; c'est vous qui la consolerez, n'est-ce pas ? — Je le jure, si Dieu m'en donne la force, balbutia en san- glotant Madame de Vallouise. C'est ainsi que mourut Remy Dorbray, dans la vingt-septième année de son âge