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                        LE BOUQUET FATAL.                        75

  et attendrissante. Quoique doué de facultés supérieures et digne
  de rêver une scène plus vaste, M. Dorbray avait borné sa mis-
  sion à l'âpre contrée dont il était l'idole et aux joies de la fa-
 mille.
     Tl eut pour femme, une sainte, qui brillait aussi par la grâce
  et l'intelligence: elle s'associa ardemment à cette vie obscure et
 utile, vaillante à ses épreuves et flère de ses grandeurs igno-
 rées. Elle partagea les abnégations de ce cœur d'élite et s'imposa
 la double tâche d'embellir pour son mari le repos si rudement
 gagné du foyer domestique, et d'élever ses deux flls en hommes
 de bien. Ils éîaient grands déjà et l'aîné était officier aux chas-
 seurs d'Afrique, lorsque M. Dorbray mourut d'une mort digne
 de lui. Un jour d'orage, en revenant de voir un malade, son
 cheval effrayé par la foudre, fit un écart épouvantable et on -
 traîna son maître dans un précipice à pic qui bordait le sentier.
 Le bon docteur fut retrouvé le lendemain, meurtri, mutilé et
brisé, mais respirant encore. Ramené chez lui, il n'eut que le
temps d'embrasser sa femme et son jeune fils.
    Le deuil dans le pays fut immense et chacun s'y souvient des
obsèques de cet homme de bien où coulèrent tant de larmes
vraies, où la foule se pressa dans des proportions qui ne se
voient qu'aux funérailles des princes.
    Madame Dorbray, quoique anéantie par ce coup terrible, ras-
 sembla toutes les ressources de sa rare énergie et ne pensa qu'à
achever noblement l'éducation deRemy, son flls cadet. Il avait
alors dix-sept ans et donnait déjà tous les signes d'une orga-
nisation supérieure. Nature fine et fortement trempée, esprit
prompt, étendu, investigateur, délicatesse de sensitive, ardeur
insatiable de travail; telles étaient les qualités qui, assaisonnées
d'un sel de sauvagerie douce et piquante, faisaient de lui une
personnalité pleine de relief et de saveur. Il eut au collège de
grands succès qui présagèrent les triomphes de l'âge militant,
car on a beau dire, d'après certains renards, que les lauriers
universitaires sont trop verts et bons tout au plus pour les gou-
jats de l'avenir, ce paradoxe ne sera jamais érigé en principe.
  Pour quelques organisations engourdies et tardives qui ne