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214           PROMENADE TRANSJORDANIENNE

    — Ainsi c'est convenu.
    Le lendemain, à 3 heures, je célèbre la messe à l'autel
de la triple confession de Pierre. A 4 heures, nous quittons
le port, sans avoir aperçu ni moukre, ni drogman, ni ser-
gent. Je m'en étonne.
    —: Ne t'inquiète pas, me dit le batelier. Aie confiance;
les chevaux sont partis.
    L'aube jette sur les collines de Moab une teinte violette
d'une douceur infinie. Une légère brise ourle et festonne
la nappe des eaux, couleur d'opale. Les constructions de
Telle Samak apparaissent au loin sur le fond noir des
terres comme des palais de féerie d'une blancheur laiteuse ;
l'imagination les peuple de tous les enchantements. Ces
merveilles, qui captivent le regard, séduisent la pensée, ne
sont que des ruines informes, des taudis infects. Il en est
toujours ainsi en Orient. La lumière, voilà le peintre iasci-
nateur qui donne aux moindres objets l'éclat du prestige et
trompe même les mieux prévenus.
    Le vent se lève et souffle de bout. La voile claque et
tombe, comme l'aile brisée d'un cormoran. Il faut louvoyer
 d'abord, ramer ensuite. Le soleil est déjà brûlant. Enfin,
 nous atterrissons à 7 heures. La traversée qui ne devait
 prendre que trente minutes a duré 3 heures.
    On amène les montures. L'eau du gué ne parait guère
 sur leurs flancs. Le cheval, retenu pour les provisions et
 les bagages, est devenu un âne pendant la nuit. Le solide
 gars qui devait remplir les fonctions de moukre n'est plus
 qu'un éphèbe de 14 ans, armé d'une longue aiguille, à
 l'aide de laquelle il découdra sournoisement, durant le
 trajet, la peau de son quadrupède. La cruauté n'attend pas
 en lui le nombre des années. Je comprends pourquoi bêtes
 et gens étaient invisibles au départ de Tibériade. Je me