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288 DEUX NOUVELLES LETTRES hommes-là sont la France. Vous êtes de ce petit nombre en qui vit encore le pays. Que ceux-là restent ce qu'ils sont, et ils sauveront l'avenir. Ce n'est pas à dire que l'on ne doive pas profiter de chaque mot qui échappera aux faiseurs d'embûche : ils tendent des pièges, qu'ils y tombent eux- mêmes !... rien de mieux. Si le bonapartisme veut s'adjoin- dre un atome de liberté, il y périra;' car bonapartisme et liberté sont deux choses inconciliables. La première chose qui frappe dans cette mystification du 24 novembre, c'est combien toute notion a été détruite par ce travail de des- potisme qui s'accomplit en France depuis douze ans. Il ne reste donc plus ni peuple, ni bourgeoisie, mais seulement une poussière servile ? La tâche de refaire un peuple avec cette dégoûtante poussière, c'est certainement la plus diffi- cile qui se soit jamais offerte à des amis de la liberté. Et, pourtant, je ne veux pas encore désespérer. Quelques hommes ont avili la France ; quelques hommes suffiront peut-être à la refaire. La masse a montré qu'elle ne se compose que de zéros ; mettez quelques unités en tête de ces zéros, et ce néant redeviendra quelque chose ; l'impor- tant est d'agir, même imperceptiblement. Pardon, cher compatriote, de ce langage trop laconique et énigmatique : l'obscurité est une des conséquences de l'esclavage. J'aime beaucoup Madame Morin ; elle a été pour moi comme une nourrice, il y a plus d'un demi-siècle ; donnez- lui donc mon adresse, je vous prie. J'ai beaucoup admiré l'énergie dont vous avez fait preuve en vous faisant médecin, et je suis sûr, très-bon médecin, au milieu de tant de calamités. Soyez heureux comme je le désire, et croyez à mon attachement sincère et dévoué. E. QUINET.