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140. DEUX AMITIÉS rae M Def mont retenait Marie pendant de longues heures ; lorsqu'elle s'était fait lire quelques vers, qu'elle avait adressé quelques observations justes et fines à la jeune fille, la con- versation s'égarait loin de la poésie ; on parlait voyages, théâtre, vie mondaine. Mathilde avait beaucoup vu, beau- coup voyagé, et Marie qui n'avait jamais quitté Chênelong, l'écoutait avec avidité. Comment eût-elle pu alors détourner son attention de cette voix fascinatrice pour compter les points de la com- binaison desquels dépendait laforme et la nuance des fleurs destinées à naître sous ses jolis doigts ? D'ailleurs le jour mystérieux, soigneusement tamisé, qui régnait dans l'appar- tement de la belle enchanteresse, le lui aurait-il permis ? Parfois Marie, se souvenant que les corrections n'étaient pas terminées et qu'il fallait enfin rentrer au logis, ramenait Mme Dermont au sujet qui lui importait le plus, mais sou- vent en vain ; n'avait-on pas le lendemain pour travailler ? et Marie partait, emportant l'espérance pour le lendemain qui se passait de même. Non, sa mère ne se plaignait pas, car depuis que Marie connaissait Mme Dermont, la tristesse qu'elle avait éprouvée du départ de Mina avait disparu; il était aisé de voir qu'un puissant intérêt présidait à sa vie ; la bonne mère se disait alors que lorsqu'on a vingt ans, de la beauté, une intelli- gence développée et pas de fortune, qu'il est difficile d'es- pérer un mariage selon ses tendances et son cœur, il est essentiel que les forces de l'âme et ses aspirations trouvent un aliment plus actif que celui d'un travail manuel qui laisse un champ trop libre à la pensée inquiète. Cependant, après quelques mois de visites quotidiennes, presque toutes les poésies de Marie avaient été lues par Mme Dermont qui les avait déclarées charmantes ; mais quoique les éloges de sa nouvelle amie fussent bien douces