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42 LA PIERRE A ÊCUELLLE Ces néophytes nouveaux n'eurent garde d'oublier, et dans leur naïve admiration, ils s'empressèrent de baptiser les pierres sacrées des noms à 'écuelles, ou de mortier, ou de lit de saint Martin. Les Druides, qui y perdirent leur prestige, durent pro- mettre de se venger du moine audacieux qui dévoilait leur charlatanisme ; il lui fallut partir vite et en secret ; on fit de son départ une fuite miraculeuse : telle est l'origine des lé- gendes qu'on retrouve dans les lieux témoins de son apos- tolat. Une tradition populaire, encore très vivace, va nous ap- prendre comment il quitta le Suc de la Violette. Nous l'avons nous-même recueillie, alors qu'en notre qualité de Juge de paix du canton de Saint-Rambert-sur-Loire, nous procé- dions à une enquête judiciaire relative à la délimitation d'une carrière nouvellement vendue : il s'agissait de savoir si l'acquéreur, ou plutôt son fermier, n'avait point dépassé la limite ancienne que les pâtres du lieu avaient toujours fixée au Lit de Saint-Martin. Donc, à un temps bien loin de nous, nous disaient les témoins, le grand saint Martin se trouvait au Suc de la Violette; il y était, c'est certain, mais ils n'ont pu nous dire ce qu'il y était venu faire, sinon qu'il cheminait sur le vio- let de la montagne, monté sur un grand âne noir ( i ) et (i) Dans les montagnes environnantes, Yâne noir de saint Martin est toujours dans le souvenir populaire. Le saint, assure-t-on, en était très fier, si bien qu'il disait un jour à quelqu'un : « Il est si noir que si vous y trouviez un poil blanc, je vous le donnerais pour rien. » L'interlo- cuteur prit la chose au sérieux et souffla tant sur la fourrure de l'aliboron qu'il finit par en trouver un. Saint Martin le lui donna aussitôt : Faute d'un poil, Martin perdit son âne. L'anecdote est-elle une contrefaçon de celle que nous raconterons plus oin?