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4 "20                      POÉSIE.

   Partout, autour de moi, la mer, la mer immense!
   Où l'Océan finit, partout, le ciel commence :
   Abîmes, profondeurs, espace, éternité !...
   Et contre tout cela cependant j'ai lutté,
   Je lutte chaque jour et veux lutter encore.
   Qui suis-je donc? Hélas ! du couchant à l'aurore,
   Il n'est pas de mortel plus faible, plus borné,
   Ni moins semblable à Dieu, ni plus infortuné.
   Mais la nécessité, mère de l'industrie,
   M'enseigne chaque jour à défendre ma vie ;
   M'apprend que je suis homme, et que les éléments
   Obéissent à l'homme et sont ses instruments.
   J'ai le lait et le miel pour y tremper mes lèvres;
   Je me taille un pourpoint dans la peau de mes chèvres ;
   Maint tronc d'arbre, par moi d'herbages recouvert,
   M'abrite comme un toit impénétrable et vert :
   Mon bras tue ou caresse, asservit ou délivre ;
   Je suis maître, j'ordonne, et tout cela, c'est vivre :
   Que me manque-t-il donc ? Oh ! tout, et presque rien :
   L'affectueux regard d'un œil pareil au mien ;
   A ma voix solitaire une voix qui réponde ;
   Souriante comme Eve aux premisrs jours du monde,
   Une épouse adorée; une famille à moi,
   Qui remplisse mon île et qui m'en nomme roi !...
   Roi? le pauvre Selkirk ! lui, jadis contre-maître !
   Qui sait? La verte Ecosse où le ciel m'a fait naître,
   A ma jeunesse errante a refusé le pain :
   Mais aux plus mauvais jours il est un lendemain.
   Quand un cruel patron me jeta dans cette île,
   Qu'étais-je ? moins qu'un, homme, une brute indocile.
   Un libertin sans âme, un matelot perdu :
   A ma dignité d'homme, ici, Dieu m'a rendu.
   Je suis homme, et fais voir à toute créature
   Que l'homme seul est grand dans toute la nature,