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LE PAGE DU BARON DES ADRETS. 387
maison ne désemplissait-elle pas. Gornes-du-Diable
avait su la trouver de suite avec son flair des mauvais
lieux, mais comme il entrait se promettant bonne bom-
bance, il se sentit frapper sur l'épaule et se retourna vi-
vement :
— C'est vous, chevalier, soyez le bien venu, mais
celui-ci mit un doigt sur sa bouche. —Compris, fitCornes-
du-Diable, et tous deux entrèrent. Lorsque l'hôtesse vit
un si bel officier, aux airs mystérieux, elle flaira une
bonne aubaine, fit de profondes révérences, rendit sa
face renfrognée la plus gracieuse qu'elle put, et installa
nos deux personnages au premier étage, dans une salle
écartée. Quelques instants après, chaque convive eut
devant lui sa moitié de lapin, môme quartier, car la
rusée hôtesse agissait ainsi depuis quelque temps pour
que les convives - ne se disputassent pas un morceau ou
l'autre. Les disputes ne lui rendaient rien, on brisait
tout chez elle, et elle n'était jamais payée. De plus, sur-
venait le guet avec qui elle était en fort mauvaise intelli-
gence. De nombreux brocs d'étain étaient sur la table
remplis d'un bon vin blanc des seigneurs de Frommen-
tal, qui possédaient les meilleurs crûs du Beaujolais.
Nos deux compères ainsi servis congédièrent la mère
la Pipe, après avoir payé généreusement leur repas.
La chambre rouge était la plus belle et la plus dis-
crète de la maison, aussi on savait qu'il fallait la payer
fort cher. L'officier tourna la clef dans la serrure,
visita les coins et recoins, et s'étant assuré en frappant
autour des murs qu'il n'y avait point de porte dérobée
par laquelle on pût les surprendre, ils s'assirent de
nouveau pour préparer leur complot.