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434               J'AI RETROUVÉ M CRAIE.
                                 A
sans nous rappeler celles qui leur manquaient: puis l'en-
fance, ignorante de la vie, ne voit de la conduite de ceux
qui l'entourent que le dehors, sans pouvoir apprécier les
motifs qui la dirigent; et de là, sans doute, son indulgence
pour ses parents, indulgence, d'ailleurs, que lui inspire la
mémoire de leurs bontés et de leurs soins; ils sont de bonne
foi en les croyant supérieurs à la génération qui les a sui-
vis, car cette génération, ils l'apprécient avec leur vieille
expérience ; tandis que leur gratitude seule prononce sur
le mérite de leurs premiers bienfaiteurs.
   Avec quelle émotion je contemplai le bel ormeau contre
lequel ma mère appuyait sa chaise dans les jours d'été, et
lisait les Saintes-Ecritures à ma sœur et à moi assis près
d'elle sur le gazon. Je ne pouvais trouver alors dans cette
lecture que l'intérêt que m'inspiraient les péripéties de
l'histoire du peuple juif; mais l'air grave et recueilli que
prenait ma mère en ouvrant le livre, la prière fervente
qu'elle faisait avant de commencer un chapitre, ses mains
jointes au bas du grand in-folio posé sur ses genoux, la
solennité de sa parole, toute sa pieuse pantomime enfin,
m'inspirait un respect profond pour cette Bible, dont je
devais plus tard apprécier mieux la divine morale et les
hauts enseignements.
   L'ormeau avait grandi, les branches s'en étaient accrues,
mais leur disposition laissait les mêmes passages aux
 rayons du soleil qui éclairaient alors le gazon ; la scène de
 cette sainte lecture était si peu changée, le beau ciel qui
respendissait sur ma tête produisait si bien les accidents
de lumière et d'ombre qui l'environnaient jadis, j'entendais
le bourdonnement sourd de mille insectes voletant sous le
feuillage, dont mon oreille avait si bien gardé la souve-
nance, que je me crus un instant revenu à cette époque
bénie, et que je cherchai presque d'un regard inquiet la
pieuse mère et la bonne sœur qui me semblaient devoir la
 compléter et qui manquaient à mon pauvre cœur malade
 de leur absence.