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228 VICTORIA LAFONTAINE. de l'heureux père, quand il entendit les bravos sous lesquels la belle salle nîmoise menaçait de s'écrouler. Le rêve du père Valons avait été jadis d'avoir une maison de cam- pagne avec un jardin. Avoir, posséder, n'est-ce pas le rêve de tous les dépossédés de la fortune? Aujourd'hui, grâce au brillant talent de sa fille, ce souhait paraissait pouvoir s'accomplir, mais désormais la pensée de son enfant lui suffisait, ses vœux avaient pris une autre direction, ses désirs une voie plus haute. Que lui importaient la mi- sère, la pauvreté, la gêne, dans son échoppe, au milieu de ses vieilles brochures ? sa fille n'avait-elle pas la réputation, la gloire, l'estime? Tous ses vœux étaient comblés. Tous les ans, pendant les vacances, Victoria revenait avec sa mère se reposer au foyer paternel ; elle se retrempait de ses fatigues dans le tendre amour de ses parents, mais le fanatisme de son père était si grand, qu'elle lui refusait le plus souvent la permission de venir l'applaudir dans ses tournées, de crainte que l'enthousiasme du vieil- lard ne le portât, malgré lui, à quelque éclat peu digne de la dignité de l'art et capable de prêter à la raillerie des indifférents ou des ja- loux. Le père Valous comprenait, se résignait et se consolait en pour- suivant ses voisins du récit toujours le même et toujours si doux du triomphe et des succès de son enfant. Sa fille, qui lui rendait toute sa tendresse, le suppliait vainement de modérer ses expansionset ses élans, elle y perdait sa plus charmante éloquence et s'en consolait en augmentant, chaque année, le bien-être et l'aisance du vieillard. Ce fut, je crois, à Nîmes qu'elle rencontra pour la première fois M. Montigny, directeur du théâtre du Gymnase. 11 y avait trois ans qu'elle était dans le Midi. M. Montigny, qui était en tournée, frappé du jeu de la jeune artiste, s'empressa de se l'attacher et de l'amener à Paris. Auprès de Mme Rose-Chéri, qui devint bientôt son amie, le talent de Victoria se développa et grandit. M. et Mme Montigny lui prodiguaient les avis et les conseils, et leur jeune élève, docile, re- pondit à tout ce qu'on attendait de si brillantes dispositions ; cepen- dant le séjour de Paris ne lui fut pas de suite favorable. Il y avait deux ans qu'elle jouait au Gymnase et pas un auteur ne lui avait encore donné une création. Trop fière pour accepter les conditions que lui posaient les fabricants de pièces, elle préférait ne jouer que des rôles connus ou secondaires et conserver intacte sa réputation ; enfin elle trouva un auteur de mérite et honnête homme qui lui créa un rôle sans conditions.